Michel Grillet, Mémoire de paysage, 2006-2007 Coll. Mamco, acquis grâce à la Fondation Coromandel |
Michel Grillet in cycle L’Éternel Détour, séquence printemps 2013 |
Quelques mots très simples suffisent pour décrire l’œuvre entière de Michel Grillet : il peint des paysages et des ciels. Mais la limpidité du projet masque mal la difficulté d’une question pourtant tout aussi simple en apparence : comment peindre un paysage au tournant des XXe et XXIe siècles ? Ou, pour le dire autrement, comment être de son temps tout en inscrivant son travail dans la tradition d’un sujet déjà tant exploré ? Pour M. Grillet, être de son temps implique un jeu d’allers et retours entre le temps de l’histoire et une temporalité personnelle, privée, voire intime. C’est en se confrontant aux exemples passés de la peinture paysagère qu’il élabore sa méthode. Il ne s’agit pas d’allusions érudites à l’histoire de l’art, mais plutôt de se saisir de certains mécanismes pour les réinventer. Ainsi, des paysages extr ême-orientaux, M. Grillet reprend la dimension méditative, qu’il déploie de la rêverie sur l’étendue jusqu’à la fascination du cosmos. De son ancrage genevois, il retient et s’inscrit dans la tradition de la miniature, avec ce goût aporétique d’enfermer le plus vaste horizon sur le plus petit écran. Car pour M. Grillet, la pastille d’aquarelle remplacerait avantageusement l’interface d’un téléphone portable sur laquelle s’échangent maintenant nos photos souvenirs. Ses souvenirs à lui sont montagneux, ces nuits claires où le ciel faisait seul office de téléviseur. C’est là le temps personnel : les paysages de M. Grillet sont liés aux réminiscences enfantines, aux crapahutages alpins, sur le Pic Chaussy ou à Zuoz. Dans cette bibliothèque de souvenirs, il range d’anciennes cartes postales, celles qui ressemblent aux instantanés surannés que le filtre de la mémoire a parfois brouillés comme le revers d’un écusson. Son temps est enfin, dans sa dimension peut-être la plus privée, celui de la peinture. À l’instar de beaucoup d’artistes contemporains, M. Grillet accorde une grande importance au processus de production de l’œuvre. Toutefois ce dernier n’est pas défini par un concept, mais par un geste, qui détermine une véritable discipline de peinture. Ses horizons Eau — Ciel sont ainsi le résultat de plusieurs dizaines de passages à l’aquarelle pour faire évoluer les tons de manière imperceptible. Cette attention au geste, même minuscule, révèle souvent à M. Grillet la direction que son travail va suivre. C’est, par exemple, en observant les traces irrégulières des débordements du pinceau hors du cadre des Eau — Ciel qu’il découvre un motif de montagnes. Il les peint en une chaîne imaginaire ; c’est une évocation et non un souvenir. Ou plutôt, c’est encore le souvenir des gestes accomplis. « En regardant chacune de mes Montagnes — Ciel, dit M. Grillet, je peux savoir quand je les ai peints, comme si je lisais le journal de bord de ma technique. » Aussi minutieusement attentif qu’il soit à son temps, le peintre est en revanche plus méfiant vis-à-vis de son époque. C’est en particulier à la virtualité des images dématérialisées qu’il veut répondre en insistant sur la peinture. Impossible d’oublier ce médium qui se rappelle sans cesse par des jeux sémantiques : la tautologie de peindre sur une pastille d’aquarelle ou l’oxymore de dessiner sur une gomme. Méditative et fragile, la peinture de Michel Grillet est, comme son Bouddha nous le signale, un petit véhicule vers la contemplation. |
Michel Grillet est né en 1956 à Genève ; il vit à Genève. |