Vue partielle de l'exposition Mémoire de paysage gouache sur pastilles de gouache, installation de 28 pastilles ; 2.9 x 3.4 cm chacune coll. de l'artiste |
Michel Grillet, Mémoire de paysage in cycle Mille et trois plateaux, deuxième épisode |
On dit des esquimaux qu’ils disposent dans leur langue de plus de cent quatre-vingts mots pour exprimer les nuances de blanc de la neige. Il nous en faudrait peut-être tout autant pour décrire la gamme de bleus que déclinent les œuvres de Michel Grillet. En 1993, lorsqu’il s’éloignait des couleurs de ses premiers travaux et ne conservait sur sa table à dessin que son pinceau, des pastilles d’aquarelle bleu d’outremer et des feuilles de papier arche jauni, pressentait-il dans quel univers de la couleur sa décision le faisait entrer ? L’expérience est là, à portée de regard : ces pastilles de gouache, rigoureusement alignées, précisément espacées sont, au premier balayage visuel circulaire, simplement bleues. Et ponctuées de petites taches blanches… La vision rapprochée s’impose et révèle alors l’étendue de la gamme et la variété des nuances qui contraint le vocabulaire à avouer son insuffisance. C’est alors, dans la proximité de ces petites pastilles de pigment, directement sorties de leur boîte Caran d’Ache, que s’ouvre dans la profondeur de la couleur bleu de minuit, légère phosphorescence de clair de lune ou violacé du rêve un firmament miniature. Inutile de chercher à y reconnaître telle étoile dont on a mémorisé le nom ou la brillance, telle constellation que l’on aime repérer dans une belle nuit estivale… Les ciels étoilés de M. Grillet, comme l’étaient déjà les paysages lilliputiens qu’il peignait sur des pastilles de gouache rondes (« Gouache sur pastilles de gouache », 1977-1999), sont des évocations au sens où ils font ressurgir des images, des impressions, des perceptions qui séjournent certaines depuis l’enfance dans sa mémoire. Le Léman, versatile plan d’eau passant du presque vert à l’indigo, l’horizon, s’abaissant sous les nuages laiteusement striés, la montagne, imposante forme familière que la lumière nocturne transforme en silhouette graphiquement détachée sur le fond sombre du ciel. Le temps de la mémoire, comme celui du registre des techniques d’eau (l’aquarelle ou la gouache) dicte au geste son rythme, lent. La superposition de quelques dizaines de couches transparentes d’aquarelle sur le papier est œuvre de patience, les touches de gouache délicatement déposées par la pointe du pinceau sur la pastille de gouache évoquent la minutie du travail de l’horloger. Cette concentration du geste ne peut s’accomplir que dans la tranquillité de l’atelier. L’esquisse rapide « sur le motif », le croquis spontané, la projection photographique anesthésieraient ses impressions, ses perceptions. La lente élaboration, presque méditative de ses peintures, laisse apparaître des images qui ne sont ni naturalistes ni symboliques. Elles puisent aux sources personnelles de M. Grillet, alliant l’observation, l’imaginaire et la perception du monde dans lequel il vit, même si, ou plutôt justement si, ce n’est pas celui qu’il reproduit. Peintre de paysage, Michel Grillet ? Certainement, mais d’images de paysage, celles qui se dessinent dans les couches accumulées des souvenirs, de « Mémoire de paysage ». |
Michel Grillet est né en 1956 à Genève ; il vit à Genève. |