En quoi une formule mathématique est-elle de lart ? Cest drastiquement résumée, la question que posent les « équations » de Bernar Venet.
Le premier élément de réponse se trouve dans le développement même du travail de B. Venet. L’évolution qui le conduit à abandonner la peinture au début des années soixante et à aborder de plain-pied l’art conceptuel avec les fameux « blow-up » (1967), se traduit par un programme dont B. Venet avait dès l’origine établi la teneur et la logiqu : en trois ans, il devait couvrir un champ du savoir qui allait de l’astrophysique et de la physique nucléaire à la logique mathématique le plus formalisé de ces savoirs. Parvenu au terme de ce programme, il suspend toute activité artistique pendant six ans. Une suspension qu'il définit comme un moment de « conversion du regard », pendant lequel il privilégie « la réflexion au détriment de la production » et qui lui permet « d'utiliser ses propres œuvres comme objet d'investigation ».
À partir de 1976, B. Venet, qui revient officiellement à la pratique artistique, opère une relecture de son travail antérieur. C’est l’époque des « Angles » et des « Arcs ». L'expression mathématique est alors mise en relation avec un objet qui le représente aussi objectivement que possible comme si l'élément plastique et le mathématique se reflétaient exactement et se refermaient sur l'idée d'un espace purifié, parfaitement transparent. La dimension monumentale des sculptures qu’il réalise les années suivantes, ainsi que leurs matériaux souvent de l'acier brut qui est directement issu du laminoir et qui s'impose par une présence extrêmement physique, voire quasi expressionniste ont contribué à faire oublier quelque peu que ces pièces répondaient toujours à une problématique mathématique ou géométrique. Cela concerne aussi les « Lignes indéterminées » (les premières datent de 1979) dont il dit que si elles n’étaient pas « déterminées mathématiquement », elles découlaient pourtant bien d'une réflexion sur les « lignes » précédentes qui, elles, dépendaient strictement d’un référent mathématique. Il s'agissait donc, comme pour les « Aléatoires », d'un moment dialectique où la forme plastique se mesurait fût-ce négativement à l'idée d'un code transparent dont les mathématiques sont le modèle le plus évident.
De ce point de vue, les « Équations / Figures » correspondraient bien à la réaffirmation dune vision objective, transparente, de l'expérience esthétique. Mais il est évident aussi que cette vision nélude pas toute réflexion artistique. Preuve en est la façon dont ces « équations » sont exposées. Peintes à même le mur, elles sapproprient la globalité de lespace, lequel est restructuré au moyen de couleurs qui conditionnent violemment la perception dans la mesure où elles sont très éloignées du support neutre (le blanc du papier) sur lequel on sattendrait à déchiffrer ces formules. Par rapport aux « blow-up » qui renvoyaient toujours à lespace du tableau, B. Venet fait ici la démonstration dune recontextualisation de son travail qui tient compte des diverses tentatives dexcéder les limites du tableau et de projeter la peinture dans son environnement une question à laquelle il avait déjà apporté une réponse avec la « Salle noire », installée depuis deux ans au Mamco. Mais le traitement auxquelles sont soumises les « équations » est lui-même révélateur de ces enjeux esthétiques. Démesurément agrandies, elles acquièrent une dimension où le spectaculaire et lélégance formelle des signes semblent autant compter que leur transparence dans létablissement dune nouvelle forme de picturalité.
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