Chez José est un pilote d’émission élaboré et réalisé par Jérémie Gindre qui se joue de la frontière supposée imperméable entre la sphère artistique et celle du divertissement. Si l’artiste a interrogé dans son travail les circuits de diffusion du cinéma en parodiant sa production standardisée et les produits dérivés de son industrie — par exemple dans « Une tradition millénaire » présentée au Mamco en 2002 — il s’attache ici à tronquer les modèles télévisuels en élaborant un projet de show culturel, émission hybride et doucement parodique. « La télévision est le médium du divertissement par excellence, alors que le support usuel de la critique d’art est l’écrit. Il y a de nombreux magazines spécialisés, mais encore faut-il les lire ! « Chez José » prend le parti de présenter des œuvres et des artistes de façon sympathique, à tel point qu'on se demande pourquoi on ne les voit jamais à la télévision. »
« Chez José » se rit de l’offre convenue des grilles de programmes. Ainsi, le cadre des enregistrements change, passant en revue les standards calibrés de l’offre télévisuelle : traditionnels fauteuils cossus et table basse des débats culturels, salle de rédaction typique de tout journal télévisé, mise en scène de la cabine de montage emblématique des magazines d’investigation. Mais la véritable identité visuelle est donnée par le présentateur vedette, José, un pingouin en carton. La mise en place de ce dispositif humoristique est autant « une bonne blague » qu’une tentative de penser, sous une forme nouvelle, le rapport entre spectateurs et artistes.
Les invités Frédéric Post, Valérie Mréjen, Annette Kosak, Marco Poloni, Yan Duyvendak, Serge Comte sont conviés à parler non de leurs réalisations, mais de projets en cours. « Chez José » permet une approche privilégiée, ouvrant la porte des ateliers, montrant les brouillons et forçant les intervenants à expliciter les circonvolutions de leur réflexion.
Liberté de jugement est laissée au spectateur, sans parti-pris. « Il est courant de constater qu'un travail a, sinon changé de sens, du moins perdu une partie de son propos une fois passé le stade de l'exposition, il suffit pour cela d'un feuillet, d'un article qui mise sur tel ou tel aspect. José est plus charitable : il laisse à l'artiste le soin de tracer les contours de son travail, quitte à ce qu'il soit moins net au final. »
Jérémie Gindre endosse le rôle de réalisateur, lançant les invitations, mettant en place le décor, prenant en charge le tournage et le montage. « Je discute avec les participants avant, pendant, et en visionnant les rushes. Mais la mise en forme du discours est concentrée sur le montage, mené en solitaire. Les artistes ne voient que le produit fini. En général nous restons bons amis. »
Le processus peut paraître léger, mais l’expérience n’est pas dénuée d’enjeu artistique, le monde doux-amer caractéristique des travaux de Jérémie Gindre affleure. D’ailleurs, de nombreux artistes contactés refusèrent de se joindre au projet, craignant d’être transportés dans un univers trop éloigné du leur. Toutefois, une fois le seuil franchi, aucune contrainte ne vient entraver les invités. Au contraire, dans un climat détendu et cordial, une tribune libre est ouverte à leur propre fantaisie.
Bien que l’on puisse ne considérer que l’aspect ludique de ces « simulations » d’entretiens, il n’en demeure pas moins que le résultat est un réel outil critique, différent, décalé et un peu revanchard — reflet des rapports de forces entre la sphère médiatique et artistique.
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