Anthropologie dans l’espace est la première rétrospective de l’œuvre de l’artiste français Yves Bélorgey. Elle occupe la quasi-totalité du deuxième étage du Mamco et propose des dessins, des photomontages et des tableaux qui, tous, montrent ce qui est au cœur de ce travail : un certain état de la ville et de l’architecture modernes dont Y. Bélorgey propose à la fois la redécouverte, la réinvention picturale et l’archivage méthodique.
C’est en 1993 qu’Yves Bélorgey, à la suite d’une résidence dans les ateliers de la Ville de Marseille, a choisi d’une manière définitive le motif exclusif de son travail pictural : la ville moderne voire moderniste, et plus particulièrement ses immeubles, construits dans les années 1950-1970, destinés au logement à bas prix à la périphérie des centres
urbains (HLM). Auparavant, en 1991, il avait peint une série de paysages, montrés à l’époque dans une exposition personnelle à la Villa Arson à Nice (1992), dont certains sont présents dans la rétrospective du Mamco, qui insistaient d’emblée sur une des caractéristiques de son travail pictural depuis lors amplement confirmée : l’absence de sujet humain, la disparition du corps organique. Car, y compris dans les tableaux d’immeubles d’Y. Bélorgey, les habitants de ces grands ensembles demeurent systématiquement invisibles, même si d’évidentes traces de vie humaine (linge accroché, poubelles remplies de déchets, pots de fleurs sur le rebord des fenêtres) laissent à imaginer le passage et le séjour des hommes dans ces lieux. On aura donc compris que le travail d’Y. Bélorgey découle d’un ensemble de décisions, tôt prises, qui conditionnent aujourd’hui encore le profil de ses toiles : « l’immeuble comme sujet » de la peinture tout d’abord, pour reprendre les propos de l’artiste, le lieu d’habitation peint sans ses habitants ; le format toujours carré des tableaux dans lequel ce motif est reproduit (les dimensions les plus récurrentes des toiles sont 240 x
240 cm) ; la technique utilisée pour reproduire cette réalité construite : une photographie du bâtiment qui est systématiquement le point d’impulsion de sa transcription picturale. Car, pour élaborer son univers visuel, l’artiste prend lui-même en photo des immeubles et autres ensembles architecturaux visibles sur la surface du globe (Marseille, Istanbul, Varsovie, Mexico, Paris, Erevan, Londres, Dakar, Rokujizo au Japon ou encore Kiruna en Laponie). De retour dans son atelier, il les reproduit, souvent à partir de photomontages, dans un format monumentalisé. Et même s’il reste tout à fait fidèle au réalisme du motif, il ne s’interdit pas des variations mineures de couleur ou de forme. De ce point de vue, le travail d’Y. Bélorgey appartient à une tradition artistique apparue en Occident après la Seconde Guerre mondiale, dont les acteurs historiques sont Gerhard Richter et Malcolm Morley, et dont Yvan Salomone, par exemple, est une des figures actuelles, qui revisite l’histoire de la peinture en y intégrant la dimension photographique : il s’agit ici de tableaux (ou d’aquarelles pour Yvan
Salomone) faits après et d’après la photographie. Jusqu’en 2004, les motifs architecturaux de ces toiles concernaient des immeubles construits par des architectes non reconnus qui ont produit des lieux d’habitation banals, non remarquables et non remarqués. La peinture leur donnait donc une nouvelle visibilité, elle leur offrait la possibilité de s’inscrire dans les regards et dans les mémoires. À partir de 2004, Y. Bélorgey a aussi photographié des immeubles réalisés par des figures plus reconnues de l’architecture urbaine (Jean Renaudie, par exemple, ou Émile Aillaud). Et cela en suivant le même protocole : reproduire une image déjà là, une procédure dont l’ampleur et la systématicité font également de l’art de peindre une opération quasi machinale qui peut aussi s’exprimer à travers des dessins de grandes dimensions dont certains sont partiellement colorés. Précisons, enfin, que les couleurs qui recouvrent les murs des salles du deuxième étage ont été choisies par l’artiste. Elles proviennent majoritairement soit de ses propres tableaux, soit de bâtiments polychromes réalisés par des architectes allemands, soit de la peinture expressionniste allemande. Voilà une preuve que, chez Y. Bélorgey, jusque dans sa façon de montrer la peinture, le souci
du juste chromatisme est présent voire omniprésent.
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