En 1993, Francis Baudevin définissait son travail comme une méthode d’appropriation : « Je prends des boîtes d’emballage, principalement des boîtes de produits pharmaceutiques. J’en supprime le texte (…) Ce qui m’intéresse, c’est l’écho que cela peut avoir dans la peinture. Est-ce que l’on peut établir des liens entre la peinture et l’objet ? »
Ce lien ne relève en tout cas pas de la surprise : « Tonopan » (1988), « Résyl plus » (1988), « Aspirine-C » (1989), « Carambar » (1991), « Petit Robert 1 et 2 » (1991), « Campbells » (1992), « IRS 19 » (1993), « Valium 10 » (1994), « Locacortène » (1995), « Tobler » (1995), « Yves Rocher » (1997), « Fair & Lovely » (1997) délimitent, pour sen tenir à ces quelques exemples, un ensemble où lénoncé dans la très grande majorité des cas, le titre met en relation de manière univoque un objet la peinture et un référent le produit. De surcroît, depuis 1987, date à laquelle F. Baudevin a défini sa méthode, rien ne vient troubler leuphorie, légère, qui naît de la certitude de se mouvoir dans un monde connu, ou lorsque ce nest pas le cas (les 'Untitled' restent relativement rares), du moins bien balisé. En effet, la peinture est nette, plane, et les couleurs fidèles, comme si aucun effet plastique ne devait perturber ce rapport didentification, à lexception bien sûr de léchelle, généralement multipliée par dix par rapport à la taille du graphisme original.
Doù vient alors la sensation davoir affaire à une expérience pour le moins trouble, et franchement paradoxale ? Dun rapprochement subit de formes que tout devrait distinguer, avec dun côté la tradition abstraite et son aspiration à lautonomie artistique, à une expérience esthétique retranchée dans un espace idéal et, de lautre côté, le design mis au service du marketing ? Cest possible, dans le sens où lappareil critique de la peinture abstraite a souvent postulé que labstraction avait pour mission de maintenir un registre de valeurs élevées et légitimes face, notamment, au 'Pop art' et à lintrusion dans le champ artistique de la culture populaire et de liconographie propre à la société de consommation. Faut-il en déduire que le travail de F. Baudevin relève dune attitude néo-pop — attitude qui a dailleurs souvent été imputée aux représentants des diverses formes dappropriationnisme apparues au début des années quatre-vingt ? Ou quil peut être considéré comme une forme dataraxie cynique devant lincomparable inventivité du design publicitaire ? Lune et lautre hypothèse sont peu fondées. Car, ce serait oublier en premier lieu que F. Baudevin sélectionne les images quil reproduit et quil ne le fait pas en raison dun principe de légitimation dans le but d'imposer de nouveaux sujets ou de nouveaux critères de jugement et dappréciation mais dune stylistique. Une stylistique qui ne viserait alors quà projeter un nouveau répertoire de formes et de compositions dans une histoire de labstraction que beaucoup pourtant jugent épuisée. Au-delà de tout épuisement des formes, de toute spéculation sur une aliénation du sujet, cette stylistique aurait simplement lhumilité daller à rebours de la position des modernes qui de Mondrian à Vasarely et de Tatline à Max Bill pouvaient encore penser que lart serait le laboratoire et le modèle dune réforme complète de notre environnement quotidien.
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