Dennis Oppenheim
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Dennis Oppenheim, Labo des écarts
Le travail de Dennis Oppenheim traite de la question du corps à travers l’utilisation de sa propre personne pour faire œuvre, de celle du paysage à travers des interventions dans la nature, mais aussi de l’espace public à travers des projets architecturaux ou de mobilier urbain. Situé ainsi à la croisée de plusieurs domaines artistiques, il est polymorphe tout en étant central dans l’art de son époque. L’intérêt de la collection du Mamco est de présenter un ensemble de travaux historiques représentatif de cette polymorphie.
Parmi les œuvres d’Oppenheim liées à l’art corporel, Stages 1 and 2. Reading Position for a Second Degree Burn-Skin-Book-Sun (1970) occupe une place de choix. Récemment acquise par le musée grâce au soutien des Amis du Mamco, cette pièce composée de deux photographies en couleur montre l’artiste qui expose son corps. Allongé pendant cinq heures au soleil, le torse nu, il a posé un livre grand ouvert sur sa poitrine. Une fois la séance de bronzage — dont il ressortira brûlé au second degré — terminée, l’ouvrage (qui est, de toute évidence, un traité portant sur la tactique) est enlevé. Reste alors son empreinte rectangulaire et blanche sur la peau rougie. Pendant cette exposition à la lumière crue et violente, Oppenheim est allongé sur du sable, comme n’importe quel vacancier qui prend le soleil. Le résultat de son exposition est loin d’être balnéaire : c’est sur lui, comme sur une page blanche, que des formes apparaissent, son corps, et plus précisément sa peau, devenant une surface d’inscription, un outil graphique. Stages 1 and 2 est une œuvre qui fait de la personne de l’artiste le centre de l’art, à la fois son point de départ, son outil et le lieu de manifestation d’une forme. Après 1974, Oppenheim cesse d’utiliser son corps comme matière artistique. À la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, l’artiste développa aussi un travail dans et avec le paysage. Parmi ses œuvres de l’époque, Annual Rings, réalisés à Fort Kent en 1968, à la frontière séparant les États-Unis et le Canada, sont une pièce majeure de l’histoire du Land Art (art de et avec la terre au sens aussi de paysage). Posté de part et d’autre d’une rivière qui matérialise non seulement une séparation entre deux États mais qui distingue aussi deux fuseaux horaires, l’artiste a tracé dans la glace une série de cercles concentriques destinés à disparaître du paysage dès la fonte des neiges. Le dessin obtenu rappelle un tronc d’arbre coupé dans lequel s’inscrit le passage du temps, cette pièce éphémère, et donc victime du temps, étant elle-même située sur le point de basculement entre deux mesures possibles de la durée. Inscrits chacun dans un contexte bien différent (Sages 1 and 2 est une pièce solaire, Annual Rings est une œuvre « polaire »), même s’ils sont tous deux une manière actuelle de revisiter le dessin et ses moyens, ces deux travaux d’Oppenheim sont archivés grâce à la photographie qui enregistre le geste accompli et son résultat avant qu’ils disparaissent pour toujours. Par là, l’œuvre s’identifie à un document et montre l’importance prise par la photo dans l’art de l’époque. Enfin, le Mamco possède aussi des œuvres de l’artiste liées à un travail architectural dans et avec l’espace, dans et avec un territoire donné. Ce sont des modèles pour des constructions possibles qui tiennent à la fois de l’architecture et de la sculpture. Proposals (1967-1974) se compose de huit maquettes pour des constructions insérées dans le paysage. L’un d’entre elles, Structure for Viewing Land (1967), consiste en une tour, un mirador édifié non pas pour surveiller quelque pays que ce soit mais pour mieux voir le paysage, pour mieux le contempler. D’autres projets, horizontaux, proposent d’aménager un site en jouant avec l’eau. D’autres prototypes, enfin, sont des reconfigurations d’un paysage avec des tumuli recouverts d’herbe. Dans ces constructions, il semble qu’Oppenheim ait quitté le strict domaine du Land Art pour aller vers une approche architecturale de la terre. On est davantage ici dans l’espace public que dans le territoire (Land) exploré par l’artiste dans Annual Rings. Proposals, un corpus d’œuvres composé en réalité d’un nombre de pièces plus important que celui conservé au Mamco, n’est pas sans rappeler les propositions et les réalisations d’un autre artiste américain, Vito Acconci, figure majeure de l’art corporel, mais aussi grand explorateur et inventeur de l’espace public avec son Acconci Studio.
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