Shadowplay / Théâtre d'ombres / Schattenspiel, 2012 (image still) Vidéo HD, 7 min. Court. de l'artiste ; Art Concept, Paris ; Pilar Corrias, Londres ; Produzentengalerie, Hambourg Vue partielle de l’exposition Court. de l'artiste ; Art Concept, Paris ; Pilar Corrias, Londres ; Produzentengalerie, Hambourg Après L'Argent / After L'Argent / Nach L'Argent, 2014 (image still) Film 35mm transféré en vidéo HD, 2 min. Court. de l'artiste ; Art Concept, Paris ; Pilar Corrias, Londres ; Produzentengalerie, Hambourg |
Ulla von Brandenburg, 24 Filme, kein Schnitt
Commissaire associé : Xavier Franceschi in cycle cycle Des histoires sans fin, séquence automne-hiver 2014-2015 |
Comme l’indique sobrement le titre de l’exposition, Ulla von Brandenburg présente, dans la configuration labyrinthique du quatrième étage et pour la première fois ensemble, 24 films réalisés depuis le début des années 2000. 24 films « bruts », qui n’ont subi aucun montage autre que celui permis par la caméra. La plupart sont ainsi constitués d’un seul plan séquence et leur durée n’excède pas celle de la pellicule avec laquelle ils sont tournés. Le noir et blanc y atténue les détails, le mouvement de la caméra est vaporeux, tandis que les décors, vêtements et accessoires n’indiquent aucune période ou lieu en particulier. Une perte de repères spatiaux et temporels qui induit le parcours de l’exposition comme celui d’une rêverie symboliste de laquelle émergent des fragments de comptines, des séances spirites, des tours de magie, ou des rituels folkloriques. L’univers du spectacle duquel l’artiste est issue apparaît comme une constante source d’inspiration. À l’image, scènes, rideaux ou écrans figurent le cadre d’une representation ; au son, chœurs et chants en playback redoublent la mise à distance. Dans les intrigues, miroirs, ombres et jeux de cartes sont les motifs récurrents d’une iconographie du faux-semblant, orientant toujours notre regard vers les ficelles de l’illusion. Si la caméra parvient quelquefois à briser ce 4e mur pour nous faire accéder de plain-pied à la fiction, elle est généralement contrainte à demeurer sur un seuil. À la manière de cet étranger qui parcourt émerveillé le village imaginaire de Die Strasse, ou de ces acteurs tournant le dos à la caméra dans Around, notre regard semble toléré mais n’est jamais initié aux rites qui se déploient devant lui. Dans chaque film, les diverses relations que tissent les personnages bruissent de non-dits. Singspiel est à cet égard exemplaire. Le temps d’un parcours de la Villa Savoye, plusieurs séquences nous font deviner un psychodrame familial. La mélancolie de la musique et les énigmatiques dialogues laissent percevoir un refoulé commun tandis que les allusions à la maladie et à la mort annoncent l’imminence d’une tragédie. Dans cette psychologie sociale, chacun semble tenir le rôle qui lui a été assigné. Reflet de la troupe d’acteurs, la famille se fait microcosme d’une société réglée par des jeux de pouvoir, où le comportement de chacun se définit dans son rapport au groupe. Quelques œuvres figent les scénettes dans des tableaux vivants. Art de la disposition des corps qui naît dans le théâtre européen du XVIIIe, le tableau vivant se caractérise par son immobilité relative, la pétrification tremblante des acteurs. Une seule image « vivante » figure ainsi l’instant prégnant d’un récit, son punctum temporis, dans lequel se cristallise la narration. Dans un premier temps, l’artiste a repris littéralement les poses d’œuvres existantes (5 Tableaux vivants trouve ses modèles dans la peinture classique et l’imagerie populaire du XIXe siècle), pour se constituer ensuite un répertoire de figures archétypales (l’enfant malade, le fantôme, la femme éplorée) et élaborer ses propres compositions. Comme ces « quilts », ces couvertures composites réalisées avec de vieux vêtements dans lesquelles on s’endort, chaque tableau s’envisage alors comme un patchwork de réminiscences, une image symptôme surgie de l’inconscient, et dont la moindre figure revêt une dimension allégorique. Parmi ces tableaux, nous signalerons Après (l’Argent), pour lequel l’artiste a re-filmé un plan du dernier film de Robert Bresson avec le même modèle (c’est ainsi que le cinéaste définissait ses acteurs) et dans le même lieu. Trente ans séparent le film d’origine de cette reprise qui s’entrevoit, là encore, comme une résurgence, un écho aux interrogations que soulève le cinéma bressonien, tant par la radicalité de sa forme que par le regard amer qu’il pose sur ses contemporains. « Il faut qu’une image se transforme au contact d’autres images comme une couleur au contact d’autres couleurs », écrivait le cinéaste dans une note célèbre. Les couleurs choisies pour l’arrière-fond des films proviennent du cercle chromatique de Johannes Itten, figure tutélaire du Bauhaus. Dans sa théorie de la couleur, celui-ci la définit comme « une résonance de rêve », « une lumière devenue musique ». Ce sont les accords, contrastes et harmonies des douze teintes qui viennent finalement opérer, dans l’exposition, un montage spatial des films. |
Ulla von Brandenburg est née en 1974 à Karlsruhe, en Allemagne ; elle vit à Paris. |