Il ne fait aucun doute que Pierre Vadi nest pas un géographe. Le sous-titre de son exposition, « géographiques », mis en apposition à son titre « Bleu ciel » laisse déjà présager du genre de glissements dont P. Vadi est friand. Certes la géographie lintéresse au sens où lobjet de son étude englobe les phénomènes physiques, biologiques et humains qui surviennent sur la surface terrestre. Mais la sécheresse de cet énoncé qualificatif ne lui sied point. Il lui faut regarder ailleurs, vers la vie sociale, la politique, lhistoire, la mémoire, les sentiments, limagination.
Des cartes géographiques. Celles-ci, selon une logique la plus élémentaire, devraient guider l’orientation du lecteur, lui permettre de fixer des repères, prendre acte d’un lieu. Mais celles de P. Vadi, sans topographie repérable, encouragent plus à s’égarer sur les chemins de traverse qu’à repérer une route directe. À vrai dire, elles sont muettes ou, plutôt, elles s’inscrivent dans l’ordre de la « sous-conversation », au sens où Nathalie Sarraute la définit dans « Tropismes ». Ses images, qui ne laissent transparaître de la carte géographique originelle que les marques de pliage, recèlent, en effet, toujours une part d’intrigue. Une partie se joue dans l’image et autour d’elle, mais elle demeure énigmatique, non révélée. Sans doute l’image montre mais plus encore dissimule et ce contenant caché la détermine. P. Vadi avance bien quelques indices, le titre par exemple « Météo » (1998-2002), « Les liaisons dangereuses » (2001), « New York Capital » (2000), « 75 Mile radius map » (1999), « Grafenberg » (2000). « Who’s who » (2000) mais, à peine lancées, les pistes tournent fréquemment court et laissent le champ libre au pouvoir d’évocation. « Météo », une œuvre générique du travail de P. Vadi, se présente comme une maquette, une carte géographique en relief avec les courbes de niveaux indiquant les sommets, les collines, les plaines et les vallées. Taillée dans des plaques de styrofoam bleu, elle ne livre pourtant aucun renseignement précis d’une région, ses courbes de niveau très douces, à peine perceptibles par endroits, sont assez improbables : il s’agit d’un « paysage météo », une photographie du ciel (et des nuages) travaillée comme une réalité physique? Le ciel rabattu sur la terre ! « Who’s who » interroge le titre de la carte du sud des États-Unis aveuglée par une flopée de globules rouges : l’homme est renvoyé à son destin biologique, universellement dégagé de toute immunité, par la lentille grossissante du microscope.
Associations didées, photographies, remémoration des images dun film, spécificité dune ville jamais visitée mais ressentie au travers de ce que lon en dit ou auréolée dune mythologie narrative, futur de lhomme lesté par ses contradictions, dominé par les flux financiers et politiques inmaîtrisables : les cartes géographiques de P. Vadi sont de véritables paysages mentaux qui mettent en balance le temps, le temps de la nature, le temps de limagination, le temps du souvenir, le temps dimprégnation sensible. En un mot, la vie avec ses mouvements contraires, son dynamisme, ses échecs et ses bonheurs.
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