Bloc-cuisine, 1963, coll. Frac Pays-de-la-Loi Vues partielles de l'exposition |
Jean-Michel Sanejouand, Charges-objets
in cycle Des histoires sans fin, séquence printemps 2015 |
Jean-Michel Sanejouand développe depuis le début des années 1960 une œuvre polymorphe qui circule sans cesse de la peinture vers la sculpture, des objets vers les organisations d’espaces, et réciproquement. Toujours en développement ce travail, qui ne se satisfait jamais de ses « acquis », et qui se compose d’une succession de séries, a anticipé nombre de devenirs actuels de l’art occidental tout en restant indépendant des mouvements et des tendances. J.-M. Sanejouand désigne clairement les différentes séries d’œuvres qui scandent son trajet : sont apparus entre 1963 et 1967 les Charges-objets, puis les Organisations d’espaces (1967-1974), auxquels ont succédé les Calligraphies d’humeur (1968-1978) et les Espaces-peintures (1978-1986), pour n’en rester qu’aux trente premières années de développement de son art. Cette classification, qui pourrait laisser accroire à une manière de formatage, est trompeuse car les séries existent pour libérer les expérimentations et non pour les cadenasser. Elles proposent toutes sortes d’explorations : à travers la peinture, le dessin, l’objet, la sculpture, une galaxie complexe et mobile, maîtrisée et ouverte, se met en place qui libère les possibilités de jeux et d’associations. Comme l’indique la critique Anne Tronche, « pour Sanejouand, l’ordre des choses n’est ni établi, ni certain, ni surtout définitif ». Et c’est cet état provisoire des choses et du monde qu’il traverse pour en donner un aspect, pour en révéler nombre de possibilités. Au Mamco, plusieurs pièces des années 1960, des charges-objets, sont exposées. Une des plus anciennes, Croix de velours noir et tissu à rayures sur miroir, date de 1963 : il s’agit, comme son titre l’indique, d’une superposition de tissus en forme de croix disposée sur un miroir, le tout constituant un tableau posé au sol et appuyé contre un mur. Un charge-objet consiste en la « mise en rapport d’objets familiers » sortis de leur contexte d’origine et débarrassés de leur valeur d’usage. Ici, ces matériaux et formes pauvres sont utilisés pour confectionner une curieuse peinture abstraite qui reprend d’une manière sauvage, c’est-à-dire revitalisante et énergique, le vocabulaire de l’abstraction moderniste, qui l’archaïse. La croix, motif essentiel de l’histoire de l’art occidental que Casimir Malevitch avait utilisé dans sa période suprématiste, résulte d’un assemblage de deux bandes de tissu — une, noire, l’autre, recouverte de lignes droites colorées — qui sont elles-mêmes des réminiscences du vocabulaire classique de l’abstraction. Le miroir sur lequel se détache cette croix enregistre l’état du monde environnant, il en note les figures et contredit par conséquent la visée à première vue abstraite de l’œuvre. Voilà un charge-objet réalisé au moment où le Nouveau réalisme s’affirme en France, au moment aussi où l’abstraction américaine et le pop art triomphent, qui révèle combien le monde de J.-M. Sanejouand, univers des associations non ironiques, sait être simultanément savant et populaire. L’objet tableau est omniprésent dans l’ensemble d’œuvres choisi, que ce soit sous la forme de la toile comme telle, retournée contre le mur (Monochrome bleu derrière, 1965), ou bien remplacée par du linoléum aux motifs éclatés (Linoléum, châssis et plaque métallique perforée, 1966). Fauteuil et carré de toile rouge (1966) est une pièce emblématique de la capacité d’invention de J.-M. Sanejouand. Elle consiste en un fauteuil en skaï noir dont le dos est tourné contre un mur, fauteuil sur lequel est posé un monochrome rouge de format carré. Voilà un charge-objet qui nie la distinction des genres artistiques pour réunir en un seul geste la peinture et la sculpture ou en tout cas le design et la toile. On est ici loin du formalisme greenbergien qui prônait l’irréductible spécificité des catégories artistiques (la peinture ne devant avoir affaire qu’avec la peinture, la sculpture qu’avec la sculpture). Mais le formalisme ensauvagé de cette construction l’éloigne aussi du pop art et du Nouveau réalisme. Il faut préciser que J.-M. Sanejouand a proposé ses premières installations à base de duos ou de trios d’objets en 1964, à l’occasion de l’exposition Poulet 20 NF. Elles précèdent de près de vingt-cinq ans les fameuses Furniture Sculpture de John M Armleder. Comme le dit A. Tronche, « Sanejouand découvre que ces objets, qui ont cessé d’êtres autonomes et qui n’en font plus qu’un, ont une forte présence physique dans l’espace en y ré-organisant quelque chose qui ne saurait être clairement nommé », ce qui les rend absolument singuliers. |
Jean-Michel Sanejouand est né à Lyon en 1934 ; il vit à Vaulandry, en Anjou. |