Truck 8, 2013 Vue partielle de l'exposition |
Amy O’Neill, Trucks
in cycle cycle Des histoires sans fin, séquence automne-hiver 2014-2015 |
Des attractions touristiques de seconde zone, une baraque à glaces en forme de chouette, des fontaines grandiloquentes, une baleine émergeant d’un étang forestier, des séquoias géants aux troncs creusés pour laisser passer les voitures, un refuge en rondin meublé avec des souches d’arbres sculptées, les dessins sériels d’Amy O’Neill pourraient presque tous correspondre au titre d’un ensemble réalisé en 2007, Roadside Souvenirs. Depuis plusieurs décennies, les sphères des prétendues haute et basse cultures américaines sont devenues poreuses, et Amy O’Neill a choisi d’établir son camp de travail le long de leur frontière incertaine. Au premier regard, ce travail pourrait donc apparaître comme issu des prolongements du pop art. Pourtant, on n’y trouve nulle fascination consumériste ni intérêt pour l’efficacité médiatique. Amy O’Neill regarde et redessine des productions vernaculaires proches du bricolage lévi-straussien ou de l’architecture « canard » décrite par R. Venturi. La construction de ces bâtiments coïncide avec l’essor du tourisme automobile ; leurs formes incongrues incitant les voyageurs à s’y arrêter. Les sujets choisis par Amy O’Neill s’adossent dès lors à deux grands mythes américains, deux manières opposées d’appréhender le territoire : la cabane du trappeur et la Grande Traversée, ou, pour le dire avec les incarnations littéraires les plus célèbres de ces deux mythes, Walden de H. D. Thoreau et On the road de J. Kerouac. Le Pilgrim Boudoir présenté au Mamco en 2010 reconstituait les meubles d’un refuge isolé et utopique, ses Trucks, à l’inverse, sont à la fois l’outil de la traversée et l’étrangeté rencontrée en route. Contrairement aux curiosités disséminées au fil des itinéraires, le camion n’est d’abord pas une affaire de touristes. C’est la baleine du bitume, l’incarnation de la souveraineté mécanique qui domine l’étendue du territoire. Plus encore que l’automobile, il est l’objet nomade en perpétuelle migration à travers le continent. Il n’est donc pas surprenant que Kerouac parle d’un voyage à l’arrière d’un camion comme du greatest ride in my life (le meilleur trajet de ma vie). Cette qualité de voyageur éternel jointe à la sensation de puissance monumentale et de gigantisme massif a naturellement fait du camion un objet de fascination. C’est là le retour des touristes de grand chemin. À l’instar de leur automobile, le pare-brise du camion cadre le paysage changeant comme un tableau toujours renouvelé. Mais en plus, le camionneur dort dans sa cabine; le camion est sa maison roulante. Aussi certains motels des bords de routes ont-ils voulu proposer au voyageur en mal d’aventure carrossière des chambres dans le mur desquelles s’encastre la façade d’une cabine avancée. C’est l’aventure du parking jusqu’au petit-déjeuner, et même parfois jusqu’au jacuzzi. Amy O’Neill éprouve une vraie sympathie pour l’univers des camionneurs et un goût esthétique pour leur culture visuelle. Pour autant, elle n’observe pas ces périples aventureux aux confins de l’architecture d’intérieur sans une certaine malice. Elle se rappelle bien sûr que les camions sont aussi des jouets prisés des enfants, et que ces chambres sont conçues pour exacerber des plaisirs régressifs. Il ne faut dès lors pas s’étonner que ses dessins conservent aussi certains aspects enfantins. Tel carénage est orné de lumières multicolores, telle chambre est vivement bariolée aux crayons, comme dans un livre de coloriage. Croqués en extérieur, les véhicules prennent des poses héroïques aux perspectives flatteuses, parfois jusqu’à l’absurde. L’un semble émerger d’une cascade quand l’autre, témoignant dans une débauche de vigueur de la victoire de la route sur le rail, transporte sur son pont une locomotive à vapeur. C’est donc un regard amusé que porte l’artiste sur ces seigneurs de la route, amusé mais pas moqueur, car en définitive ce que cherche cette série, comme les autres travaux d’Amy O’Neill, est ce qui se charrie aux tréfonds de l’âme américaine. |
Amy O'Neill est née en 1971 à Beaver en Pennsylvanie ; elle vit à New York. www.oneillamy.com |