Sonia Kacem, Loulou
in cycle cycle Des histoires sans fin, séquence automne-hiver 2014-2015 |
« Il s’appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses ailes rose, son front bleu, et sa gorge dorée. » C’est ainsi qu’apparaît le perroquet qui tient compagnie à la pauvre Félicité dans la nouvelle Un cœur simple de Flaubert. Un perroquet bruyant, chahuteur mais qui deviendra « presque un fils, un amoureux » pour l’héroïne délaissée. Sous l’aspect d’un gentil « petit nom », le titre de l’exposition de Sonia Kacem prend ainsi pour référence un perroquet. Envisager ce qu’elle nous propose sous le plumage et le ramage de cet oiseau permet d’insister sur deux aspects particuliers de son œuvre : une manière orientalisante et un goût pour la répétition et l’imitation. Les installations de S. Kacem se caractérisent par une at tention par ticulière aux matériaux et au contex te d’exposition. Décrire l’une de ses œuvres revient souvent à associer aux éléments du descriptif technique un geste qui va les spatialiser : éparpiller de la poussière, froisser d’immenses feuilles de papier, briser du verre ou de la céramique, plisser de la résine. Dans cette façon d’expérimenter matières et environnement, le drapé apparaît comme un motif privilégié. Moins la draperie immaculée et flamboyante du baroque que celle épaisse, sauvage et désordonnée de la peinture orientaliste de Delacroix — et il est ici heureux d’évoquer tout particulièrement l’invraisemblable rigidité des tissus sur lesquels s’étend La Femme au perroquet du peintre romantique. Les deux artistes partagent encore un goût pour le naufrage contrôlé des formes. Une façon de composer soigneusement le chaos : les installations Thérèse, Dramaticule, ou The Waves de la Suissesse ont quelque chose de cette étrange maîtrise de l’entropieà l’œuvre dans La Mort de Sardanapale. Partie cette année en résidence à New York, l’artiste a pu visiter le véritable loft de Donald Judd (auquel la salle du Mamco rend hommage) et se frotter de près à la sculpture minimaliste (que l’on retrouvera en poussant la porte de l’appartement, derrière le loft). Elle y emprunte la radicalité d’une structure primaire et son déploiement théâtral dans l’espace. Comme pour Robert Morris ou Carl Andre, des situations sont construites entre la sculpture-objet et le spectateur mobile. Mais, à la manière d’un Delacroix rhabillant ses modèles après s’être rendu au Maroc, les structures de S. Kacem se sont parées de vieux stores rayés. L’austère géométrie élémentaire se corrompt dans des motifs qui la tirent vers le camping, la fête foraine, la buvette ou le magasin de babioles estival. C’est que la résidence américaine fut également pour S. Kacem l’occasion d’un voyage à Las Vegas dont elle a su, à la suite de Venturi et Scott Brown, tirer les enseignements : le littéralisme de la forme s’y fourvoie dans le pastiche monumental. Ainsi les pyramides de Loulou sont moins inspirées par le siteégyptien de Gizeh que par le Luxor Las Vegas, ce gigantesque casino-hôtel, parangon du simulacre. Un autre fantasme orientaliste qui, passé au filtre de la société du spectacle, se contente de bégayer les archétypes touristiques. |
Sonia Kacem est née en 1985 à Genève où elle vit. |