Alors que l’écran est noir, des voix récitent une profession de foi. Le titre, « Les Protestants », barre l’écran. Une femme âgée apparaît devant l’objectif. Une voix de jeune femme lui demande : « Cela ne te gêne pas que je te filme ? »
Le nouveau film de Clarisse Hahn est un film de famille. La jeune réalisatrice explore l’appartenance familiale. Pour révéler la singularité des liens parentaux, elle évoque avec des membres de sa proche famille des questions identitaires : religieuses, sociales, générationnelles. Elle élabore ainsi une galerie de portraits aussi contrastée que cohérente. La famille formant un ensemble de personnalités partageant un vécu commun, le film implique autant l’intimité de l’artiste qu’il explicite ce réseau de liens familiers.
La pratique religieuse scande la chronologie familiale. Des mariages aux enterrements, l’identité se construit, le groupe se développe, la mémoire se stratifie. La conscience religieuse contribue aussi, à mots couverts, à définir une hiérarchie sociale. Les jeunes sont scouts, comme l’étaient leurs aïeux. Les parents se souviennent des rallyes de leur jeunesse protégée, leurs enfants s’y ennuient à leur tour.
Plutôt que de poser un regard critique ou fasciné sur cette classe bourgeoise protestante dont elle est issue, C. Hahn s’emploie à franchir insensiblement les frontières entre intimité et extériorité. Elle ne cache pas sa caméra, les images ne sont pas volées. Les personnes filmées sont conscientes de leur image. Un vieil homme sportif évoque son goût pour la pratique assidue de la gymnastique, une dame âgée ses souvenirs de jeunesse au cœur de la société mondaine. Des adolescents expriment leurs rapports fraternels forts. Chacun serre et desserre les liens de cette identité.
Le film est empreint d’une douceur non feinte. Les générations se tissent les unes dans les autres. Les scènes se succèdent sans lien narratif. Les décors sont des cadres de vie ou des lieux de travail. Les conversations ont le rythme naturel des rencontres. Le cadrage, la lumière et les sujets remémorent les scénographies de la peinture des pays réformés. Les plans du film prolongent cette tradition de l’image, tout en retenue et sobriété.
À nouveau, entre implication et distance, la cinéaste propose un regard sur un univers, une collectivité structurée par ses codes, ses usages, son rythme, son économie, son esthétique propres qui se traduisent notamment dans le rapport de chacun à son corps. Du monde professionnel de la pornographie (« Ovidie », 2000) au désœuvrement codifié des jeunes marginaux (« Boyzone », 1999), en passant par la dépossession du corps des patients des hôpitaux gériatriques (« Hôpital », 1999), l’œuvre de C. Hahn semble hantée par l’idée que l’identité morale et corporelle dépend du groupe. La famille en est un.
« Les Protestants », 2005 ; vidéo couleur, 85 min. |