Deux ans après sa première exposition personnelle, « Machines pour le futur » en 1963, Piero Gilardi réalise ses premières pièces en mousse polyuréthane qu’il présente à Paris, Bruxelles, Cologne, Hambourg, Amsterdam et New York. À partir de 1968, il cesse de produire des œuvres d’art au sens classique du terme pour s’engager dans les nouveaux courants de la fin des années soixante : l’Arte Povera, le Land Art et l’art Antiforme. Il prend part à l’organisation des deux premières expositions internationales de ces mouvements au Stedelijk Museum d’Amsterdam et à la Kunsthalle de Berne. En 1969, il débute un travail d’analyse et de conceptualisation du rapport Art / Vie. Activiste politique et animateur de la culture alternative, il organise de nombreuses expériences de créativité collective sur des mondes en marge comme le Nicaragua, les réserves d’Indiens aux États-Unis et l’Afrique. En 1981, il présente ses activités dans le monde de l’art parallèlement à des workshops publics. En 1985, il lance un projet de recherche sur les nouvelles technologies avec Ixiana (présenté au Parc de la Villette à Paris). Ce parc technologique offre au public la possibilité de réaliser des expériences artistiques avec des technologies digitales. Récemment, il a produit de nombreuses installations interactives multimédia et a activement participé aux grands rendez-vous internationaux du secteur comme la Biennale de Nagoya « Artec », « Artifices 3 » à Paris et « Multimediale 4 » à Karlsruhe. En 1993, il a présenté un espace « virtuel » à la Biennale de Venise. Il préside l’association Ars Tenica à l’origine des expositions d’art « néo-technologique », « Arslab. Metodi ed Emozioni » en 1992, « Arslab, I Sensi del Virtuale » en 1995, « Arslab. I labirinti del corpo in gioco » en 1999. Très actif dans l’analyse théorique de la recherche des nouveaux médias, il est responsable de la rubrique « Retour vers le futur » du magazine Flash Art.
« Biosphère », installation interactive et digitale.
En collaboration avec Riccardo Colella, 2001-2002
Je conçois le projet Biosphère comme une « éco-machine » permettant à chaque individu de prendre conscience de son appartenance à la biosphère en évolution.
L’idée de ce projet est née en 2000. J’ai alors repris le fil de mon raisonnement sur la problématique de la recherche de nouvelles modalités d’interrelations entre l’individu et la pluralité sociale, que je considère comme le nœud existentiel historique de la post-modernité.
Je pense que dans le scénario de la globalisation croissante, la crise didentité de lindividu et la crise de la politique et des rapports sociaux ne peuvent être résolues séparément, mais seulement par une nouvelle définition des interactions, des valeurs et des significations qui intègrent ces deux aspects de la vie daujourdhui.
À lissue dun riche échange avec lart-thérapeute Marisa Sartirana, jai pu établir une dynamique psychologique qui mest apparue comme une nouvelle modalité du rapport individu / communauté sociale. Il sagissait dabord de donner de lespace à un moment intime et spontané de manifestation de la subjectivité individuelle : le tracé de signes plastiques dans le sable, une expérience semblable à celle de la sable-thérapie en psychologie. Ce tracé, pris comme unité stylistique génétique individuelle, serait projeté dans un milieu peuplé par les unités stylistiques des autres individus : un jeu systémique dinteractions sociales pouvait ainsi commencer.
J’ai vu cette parabole expérimentale comme le modèle possible de la structure interactive de mon nouveau projet et j’ai commencé alors à identifier les images qui pourraient constituer le tissu de la 'computergraphie' de l’œuvre. Ce faisant, j’avais en tête les images stimulantes de la biologie et de l’écologie, des séquences ADN aux prévisions météorologiques. La logique de ce scénario imaginaire était celle du passage du génotype au phénotype, passage qui m’a paru crucial aux vues d’une reconstitution du rapport individu / communauté sociale, à expérimenter par la dimension analogique de l’art.
En parlant de mon projet à Riccardo Colella, chargé de la réalisation du logiciel et avec qui j’ai travaillé en étroite collaboration, j’ai souvent utilisé des mots métaphoriques, tels que « semence » pour le tracé individuel, et « agora » pour le scénario ambiant et systémique. Ces mots ont évidemment une forte prégnance symbolique et expriment certaines de mes tensions intérieures permanentes entre la subjectivité humaine et la nature, mais avec une considération inhabituelle pour moi des aspects ontogénétiques de la vie, c’est-à-dire la signification et l’importance du code héréditaire, entendu comme l’ensemble des prédispositions que chacun de nous hérite de ses parents biologiques. Dans le domaine du système d’interface gestuel-informatique, du tracé tridimensionnel dans le sable, le choix même a un symbolisme ontogénétique, puisqu’on estime que les premiers dessins réalisés par nos ancêtres avant les peintures rupestre du Paléolithique ont été des traces laissées avec les doigts dans la vase des fleuves ou dans le sable des plages.
L'installation est composée d'un écran rond placé au sol dans un espace collectif et d'une cabine. Une personne entre dans la cabine et s'assied face à un bassin rempli de sable dans lequel elle dessine un « paysage ». Ce dessin, transmis à un ordinateur, devient un motif qui constitue un signe personnel projeté sur l'écran en se mêlant aux autres signes produits par les visiteurs précédents. Dans l'espace collectif, la personne peut, ensuite, à l'aide d'une souris sphérique animer son propre signe. Les autres visiteurs présents peuvent également interagir sur les signes (mouvements et couleurs) en appuyant sur des pédales sensibles placées autour de l'écran. Parallèlement, grâce à un capteur, les données climatiques de l'espace agissent sur le tissu de signes et leur dynamique.
Piero Gilardi |