L’exposition du Mamco pourrait tout aussi bien s’intituler Eau & gaz à tous les étages ou bien encore Voyages aux pays de nulle part, tant la nature et la diversité de la proposition sont une invitation au déplacement et au voyage. Sols, plafonds, cimaises de plus de 3000 m2 de surface d’exposition sont investis jusqu’à saturation par celle qui fut qualifiée à ses débuts de Pin-up trash, bimbo conceptuelle, pétroleuse et chauffarde. Pour être tout ceci à la fois et plus encore, Sylvie Fleury produit une œuvre multiple, traversée de désirs et de dérives consuméristes. Comme le pressentait Georges Perec dans Les Choses en 1965, il y a entre les choses du monde moderne et le bonheur un rapport obligé. Autrement dit bonheur et consommation sont liés.
Devenus une signature pour l’artiste, les Shopping Bags, se partagent aujourd’hui la vedette avec des champignons aux couleurs irisées. Hommage à John Cage, mycologue averti, ils évoquent aussi le Voyage au Centre de la Terre de Jules Verne tout comme les stalactites et stalagmites des grottes, qui ponctuent l’exposition, sont autant de forêts pétrifiées qui nous plongent dans un univers chtonien originel. Lieux d’aveuglement, d’expériences mystiques et solitaires, ces anfractuosités aux formes matricielles sont aussi le lieu de la renaissance de soi. Aux côtés du glamour et du kitsch des débuts s’esquissent des mondes étranges et parallèles où les boas passent du statut de colifichet à celui de créatures naturalisées dans des cages de plexiglas. Un monde où les Dog Toys, littéralement jouets pour chiens, aux dimensions démultipliées, deviennent des monstres affables et bienveillants assoupis dans la touffeur d’émanations hallucinogènes. Brouillage d’idées, brouillages esthétiques, à l’image d’un monde qui perd ses repères, sont ici à l’œuvre par l’entremise d’une stratégie d’exposition issue des années 80 où mode, publicité, design, arts plastiques et kitsch s’interpénètrent.
À tous les étages, Mondrian, Fontana, César, Buren, Vasarely, Carl Andre se voient recyclés, customisés, ici avec de la fausse fourrure, là avec du vernis à ongles qui leur offre, entre fascination et iconoclasme, une singularité renouvelée. Comme frappées de pesanteur, les lignes de Buren se déforment, se boursouflent à l’image de la série des Stretch, photographies de pulls moulants à motifs géométriques, déformés par les rondeurs de jeunes femmes à la poitrine opulente. Avec de faux Mondrian en fourrure synthétique, avec des slogans tirés de publicités, sortes de pensées ready-made BE GOOD, BE BAD, JUST BE ou YES TO ALL qui parodient la série Art as idea as idea de Joseph Kosuth , Sylvie Fleury crée des ponts « entre l’histoire des formes modernistes et le système de la mode ».
D’un étage à l’autre on passe des gaz d’échappement de bolides écrasés et customisés par les She devils on Wheels aux couleurs de vernis à ongles tendance, aux vapeurs dégagées par les fusées et autres UFO qui prennent le second étage du Mamco comme base de lancement. Comme dans un grand magasin, l’escalier est un centre névralgique. A l’entropie des salles d’exposition répondent la sobriété et la rigueur d’immenses pendules de métal, qui font de chaque palier un lieu de recentrage de la pensée. Dans la pâle lueur bleu glacier des néons qui fonctionnent comme des injonctions ( HYDRATE, LIGHTEN, PURIFY, SOOTHE ) , le temps est suspendu et le Mamco retrouve au bout de ces chaînes d’arpenteur sa vocation d’usine de fabrication d’instruments de mesure. Usine à rêves aussi, à désirs, rêves de paillettes et de néant.
Si la femme est omniprésente dans l’œuvre de Sylvie Fleury, c’est plus généralement l’humain qui est évoqué, son désir de voler, de conduire des bolides, de conquérir de nouveaux territoires et plus gravement son désir d’échapper à une condition de chair et de sang pour se dissoudre dans le grand Ether qui imprègne tous les corps et vibre sous l’action d’une source lumineuse couleur de diamants. |