The Blind Man, 1998 ensemble de cinq peintures, acrylique sur toile 245,5 x 175 cm chacune coll. Mamco |
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Gabriele Di Matteo, The Blind Man, 1998 in cycle Mille et trois plateaux, troisième épisode |
« The Blind Man » de Gabriele Di Matteo est un ensemble de cinq tableaux, cinq peintures reproduisant en grand format la même image : une photographie de Jorge Luis Borges à la fin de sa vie, aveugle, les yeux fermés. L’écrivain y apparaît ainsi tourné vers lui-même, comme absent du monde. De fait, cette posture évoque un trait constant de l’œuvre de l’auteur, la perturbation du réel par une étrangeté logique. Cette image est le point de départ de G. Di Matteo qui en produit cinq répliques semblables. On peut ainsi considérer cet ensemble soit comme une œuvre issue de la main de l’artiste soit comme de simples copies agrandies d’une photographie préexistante. Mais l’utilisation d’une technique manuelle impose à ces copies de légères différences, des nuances qui font de chacune d’elles une représentation unique. Par ces variations inévitables, l’artiste met en jeu son propre travail. On distingue dans chacun de ces tableaux les efforts constants et maintes fois renouvelés qu’il entreprend pour parvenir à l’imitation la plus approchée. Or, celle-ci est par principe inatteignable et finit donc toujours par se dérober, ne laissant au peintre d’autre choix que de, sans cesse, recommencer. Et, au travers de cette obsession à vouloir obtenir l’imitation la plus parfaite, se fait jour un aveu d’incapacité face au travail que demande la « représentation » du grand écrivain. Le peindre en embrassant chacune des subtiles singularités qui le caractérise s’avère impossible. Dès lors, cette série pourrait s’appréhender comme cinq mêmes imitations différentes d’un personnage unique mais pourtant naturellement insaisissable. Cette situation paradoxale est, elle aussi, assez symptomatique de l’univers que développe Borges. Il est en effet courant de découvrir, dans ses nouvelles, des mondes en abîme où la réalité n’est qu’une copie qui est elle-même une copie de cette copie. Parfois même, la copie est plus riche que la création. C’est le cas notamment lorsque l’auteur s’emploie à démontrer, en s’appuyant sur une argumentation apparemment irréfutable, toute la difficulté et le génie du travail de son « collègue » Pierre Ménard qui réécrit à l’identique (et sans le modèle) le « Don Quichotte » de Miguel de Cervantès. Ici, la fiction s’étend au-delà du texte. De même, pour « The Blind Man », l’histoire ne se situe sans doute pas seulement dans la peinture. L’artiste nous présenterait ainsi une fable qui conterait l’histoire d’un peintre qui, avec une volonté acharnée, s’emploierait à créer des images identiques à leurs modèles pour en faire des représentations plus fines que l’original. Ainsi, au travers de ce qui apparaît comme une simple copie, l’artiste ferait advenir une création originale. Par la copie, il deviendrait auteur. Cette œuvre de G. Di Matteo ne se présenterait donc pas comme une simple suite de tableaux mais bien comme une installation dont le propos n’est pas à chercher dans la seule matérialité de l’œuvre mais autant dans les constructions imaginaires qu’elle laisse entrevoir. La vision objective de ce que l’on a sous les yeux est ainsi perturbée pour laisser place à un regard qui oscille constamment entre ce que l’on voit, ce que l’on pense et ce que l’on rêve. |
Gabriele Di Matteo est né dans la ville italienne de Torre del Greco en 1957 ; il vit à Milan. |