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  Geneviève Delaunay 

Présents antérieurs, 2012-2013  
  Série 1 : Coquin et Érotique  
  Série 2 : Poétique et Drôle  
  Série 3 : Loufoque et Brut  

 
 
 







Geneviève Delaunay, Présents antérieurs, 2012-2013


« Je sais que ma source est dans ce monde de pauvreté et de lumière
où j’ai longtemps vécu et dont le souvenir me préserve encore
des deux dangers contraires qui menacent tout artiste,
le ressentiment et la satisfaction […] Qu’est-ce que l’homme ?
Il est cette force qui finit toujours par balancer les tyrans et les dieux(1)


Accroupie, papiers de soie et boîtes de mines de plomb en besace, j’arpentais tous les étages du bâtiment, une fois par semaine pour « décalquer ».  Décalquer les marques d’un passé antérieur à l’installation du Musée en ces lieux occupés jadis par la Société d’instruments de physique (SIP). Avec ce travail mis en route, ma participation à la Fête du Mamco pour ses 20 ans avait déjà commencé. Sous les regards des gardiens, des visiteurs et guides, entourée de sons, de grincements divers, d’éclats de voix provenant du bâtiment et de bruits urbains à l’extérieur,  je noircissais quantités de papiers à tous les étages et en toute liberté.  Grâce à son directeur Christian Bernard, je me trouvais ainsi au cœur d’une Œuvre ouverte dans le sens qu’Umberto Eco donnait aux œuvres de Marcia Hafif en 1960 quand elle vivait à Rome(2).

Les marques étonnantes incrustées dans les sols du bâtiment, sols à l’odeur de vieille graisse mêlée à celle du labeur des hommes, mobilisaient mon esprit par leur côté vivant et affirmé. Elles titillaient mon imagination. Anthropomorphiques souvent, aussi stylisées et fragiles que des traces archéologiques  elles évoquaient parfois les signes primitifs de certaines civilisations antiques. Réunies au gré des circonstances par étage et par salle, c’était comme si l’on tournait les pages d’un journal intime de l’ère proto urbaine… Fascinée par ces empreintes suggestives qui me faisaient gamberger, je les trouvais aussi très coquines voire érotiques, philosophiques, drôles, loufoques ou poétiques. Elles étaient irrésistibles dans tous les cas.

Une description des formes par Carla Demierre dans Ma Mère est Humoriste me venait à l'esprit : « Il paraît même beaucoup plus approprié d’arrêter de nommer les formes  […]  Les souvenirs que je conserve sont ceux que l’équilibre hasardeux de la structure amoncelée m’aura laissés. Leur insolubilité n’engage jamais leur valeur de trace. Le secondaire produit autant de vestiges que le principal  [...] D’un côté le flou, et dedans une forme. D’un côté un sens, et dedans le dedans  […]  Entre temps, un temps de qualité matière noire, un certain nombre de variables d’état qui sont, en général, de nombreux réels [….] C’est là que se trouvent les choses qui sont comme elles sont à l’instant, juste avant qu’elles ne soient comme elles seront les instants suivants(3). » Juste et éloquente que cette évocation des « pleins » et de leurs «vides » associés !

Que s’est-il  produit en plus de cette rencontre si particulière avec le Mamco, pour provoquer la mise en route de mon projet de frottages. C’est une Madeleine de Proust qui en est la cause. Une Madeleine spéciale à l’odeur et au toucher de noir de fumée épais. Toute ma famille paternelle et moi, y avons goûté. Mes émotions jusqu’alors contenues, liées au négoce des métaux lourds avant et après la dernière guerre mondiale, ont été libérées au fil de mes interventions graphiques à la rue des Vieux-Grenadiers. Il m’est arrivé parfois de quitter un endroit du musée où j’exerçais, pour ne pas avoir à comparer les productions de mes contemporains avec mes modestes empreintes !… Au cours de mes décalcomanies, des pensées vagabondes me conduisaient auprès d’artistes  que j’affectionne particulièrement pour leurs créations imprégnées de philosophie. Tel Alain Jouffroy avec ses  Posages abstraits légers voire éphémères, entre collages et montages ; ou tels Marcel Duchamp, Robert Matta, Jackson Pollock, Yves Tanguy… et autres artistes accompagnants de mes échappées belles.




1. Albert Camus : la pensée révoltée, Philosophie magazine, hors série, avril-mai 2013.
2. Éric de Chassey, Marcia Hafif. La période romaine / Italian Paintings, 1961-1969 précédé d'un entretien avec l'artiste, Genève, Éditions Mamco, 2010, p. 271.
3. Carla Demierre, Ma Mère est une Humoriste, Paris, Éditions Léo Scheer, 2011.





Geneviève Delaunay est née en 1947 à Genève où elle vit.
www.g-delaunay.com