Laurence Bonvin, Passing in cycle L’Éternel Détour, séquence été 2013 |
Depuis ses débuts en 1993, Laurence Bonvin a établi son territoire photographique dans le paysage, et plus particulièrement dans le paysage péri-urbain. Ce territoire, elle l’arpente, au propre, de Berlin à Johannesburg, en passant par Genève et Istanbul. Pour aborder ces villes, L. Bonvin définit des projets d’explorations, des processus de recherche, sans toujours savoir où ils la mèneront. C’est parfois l’observation d’une architecture urbanistique qui s’implante et avale le paysage. Ainsi ces « gated communities », qui l’intéressaient parce qu’elles importaient un modèle de banlieue à l’américaine dans un contexte culturel et économique très différent. Ailleurs, c’est la manière dont une population s’approprie ou se réapproprie un espace marqué par l’Histoire. Comment photographier la trace invisible d’un passé enfoui mais présent encore dans les mémoires des habitants ? Laurence Bonvin préfère généralement la périphérie au centre, les espaces marginaux où la transformation peut s’opérer de manière plus dynamique. Mais cette distinction n’est pas nécessairement géographique. À Johannesburg, depuis la fin de l’apartheid, le centre économique de la ville s’est déplacé vers des banlieues huppées au nord, alors que le centre-ville délaissé se délitait en quartiers interlopes. Lors d’un premier séjour en Afrique du Sud en 2009, L. Bonvin a photographié les townships, ces quartiers réservés aux noirs durant l’apartheid, qui se développaient rapidement tout en conservant de violents contrastes entre promesses et réalités, ou murs préfabriqués et terrains vagues. De retour en 2012, elle a initié un projet supplémentaire selon un processus simple à décrire : dans le centre-ville relégué en seconde zone, elle se poste à l’angle d’une rue, durant une heure environ, et photographie les passants. Alors que ses travaux sont le plus souvent associés à la photographie documentaire — tout en gardant une importante propension à générer de la fiction chez le spectateur — L. Bonvin reprend ici les codes de la photographie de rue, focalisée sur l’être humain. Mais aussi complexes que soient les réalités dont ce travail rend compte, il ne s’agit pas d’une galerie de caractères. Le personnage récurrent et sous-jacent à toute la série est la société sud-africaine elle-même, avec son énergie qui se déverse en une violence extrême et normalisée, autant qu’en espoirs de construction réconciliée. La photographe capte la mise en scène chaotique du théâtre du coin de la rue, où chaque acteur semble jouer pour lui seul. Les corps se frôlent et s’esquivent en un ballet de trajectoires isolées. Cette question du corps est particulièrement saillante pour L. Bonvin elle-même : dans un quartier dangereux, une femme blanche, seule, immobile, se tient au milieu du chemin pour prendre des photos. Le lexique habituel de la traque photographique, du chasseur et de la proie, est renversé. Les images qui résultent de ce travail permettent de ressentir l’inconfort de cette confrontation physique. L’échange semble impossible, les marcheurs se détournent, baissent les yeux, ignorent la photographe ou la fixent sans curiosité. Enfin, ils passent. La répétition d’un même angle de vue, où parfois un personnage se retrouve, donne une épaisseur temporelle à la série et lui confère un potentiel narratif. En résulte une ambivalence sur le statut de ces images et sur la polysémie du passage. L’exposition de L. Bonvin s’inscrit également dans le cadre d’une collaboration avec la manifestation 50 JPG. |
Laurence Bonvin est née à Sierre en 1967 ; elle vit entre Berlin et Genève. |