L'œuvre de Heimo Zobernig est impensable en dehors du constat que l'abstraction est parvenue à un moment critique de son histoire. Dans chacune de ses interventions se joue donc la question de la survie de son vocabulaire, de sa valeur en tant que langage représentatif d'une position esthétique, de son autonomie, de sa résistance à l'instrumentalisation, de son efficacité en tant que forme adaptée à une certaine situation historique. Ces questions expliquent la diversité de l'œuvre de H. Zobernig comme s'il s'agissait, dans les contextes les plus variés, de mettre à l'épreuve les formes issues du modernisme abstrait.
En 1987, les peintures qu’il réalise multiplient encore les constrastes de couleurs et certaines d'entre elles s'avèrent discrètement lyriques (dans l'application de la matière, le chromatisme, les effets de profondeur). Par la suite son répertoire de formes s'épure radicalement et H. Zobernig travaille essentiellement dans un registre monochrome où dominent le noir, le blanc ainsi que des tons cassés ou éteints. Simultanément, il élargit profondément les supports de ses investigations : les plans colorés s'articulent par exemple en croix ou en forme de socle dont significativement la partie du bas, en contact avec le sol, reste vierge. Ils prennent alors une dimension sculpturale, mais le véritable enjeu de ce rapport à l'espace est plutôt d'ordre architectural comme le montrent l'escalier blanc en styropor exposé à Graz en 1990 (« o. T. », soit « Sans titre », comme la plupart de ses œuvres), le dispositif de cubes de carton recouverts de dispersion noire installé chez Sylvana Lorenz à Paris en 1991, ou la construction littéralement architecturale visible à l'Architektur Forum de Zurich en 1991. Le plan peint suspendu au plafond et les miroirs présentés à la Galerie Peter Pakesch à Vienne en 1989 vont dans le même sens, mais ces derniers démontrent aussi que Zobernig n'hésite pas, comme Richter l'avait fait auparavant, à se confronter au 'ready-made'. Lorsqu'il utilise la vidéo et le graphisme, c'est aussi pour en mesurer, avec la plus grande rigueur, le pouvoir de formalisation. La lettre (en l'occurence l'Helvetica que H. Zobernig s'est en quelque sorte appropriée) s'intègre alors toujours au contexte d'intervention, qu'il s'agisse d'un livre, d'une toile ou de la projection d'une diapositive. Cette volonté de formaliser l'environnement, l'expérience esthétique et au-delà les comportements, peut rester relativement abstraite, mais elle se concrétise très clairement dans des réalisations comme la scène conçue pour la Documenta 9 ou l'aménagement intérieur de la Documenta-Halle lors de la dixième édition de cette manifestation en 1997. Dans ces deux cas, la proposition de H. Zobernig répondait au besoin de leur donner une image. D'une façon générale, c'est dans ce contexte que s'inscrivent tous ses travaux ; y compris lorsqu'ils prennent place dans un espace naturel ainsi que le démontre le geste brutaliste par lequel il coulait une chape de béton rectangulaire dans un jardin anglais jusqu'alors parfaitement idyllique (Schlosspark Jöss, 1990).
L'intervention de Zobernig au Mamco répond à une question posée par le musée : comment présenter la « Boîte en valise de Duchamp » ? Sa réponse consiste en un hommage ironique, ou pour le moins amusé. Le socle couvert sur lequel sera présenté un exemplaire de la « Boîte en valise de Duchamp » renfermera également un enregistrement que Zobernig avait conçu comme une contribution à une émission de la radio autrichienne diffusée à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Duchamp (« ohne Titel », 1987). Le spectateur y apprendra que l'artiste, ayant tenté d'entrer en contact avec Duchamp, n'aura eu pour tout interlocuteur que Rrose Sélavy (le double féminin de Duchamp !). D'une voix d'outre-tombe, elle lui déclare notamment : « Nous qui sommes morts avons un grand pouvoir sur les vivants ».
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