D’un côté, Siouxsie, ex-égérie punk, leader de feu Siouxsie and the Banshees et actuellement des « Creatures », fiction de sauvagerie primitive et de sophistication cosmétique, maîtresse de l’hystérie spectaculaire version technologique, idole païenne et grande massacreuse des clichés de l’industrie du rock.
De lautre côté, Le Palazzo del Tè, la culture antique revue à la lumière dune des plus brillantes sociétés de cour de lItalie du XVIe siècle, une architecture de plaisir et de divertissement, conçue par Giulio Romano, avec une chambre érotique et un combat entre les dieux et les géants. Un monde de contraires, de démesure, de luxe et de catastrophe où lexpression chrétienne de la souffrance se voit remplacée par une parade didoles antiques, par les rivalités guerrières de lOlympe et les intrigues amoureuses de Cythère.
À leur croisement, le panthéon de Jean-Luc Verna : un imaginaire qui trace son chemin entre les lignes de lhistoire, entre le maniérisme le plus sophistiqué et les trottoirs du XXe siècle, entre les raretés de lesthétique parnassienne (les fééries précieuses de Catulle Mendès) et la confrontation abrupte avec le marché de la culture pop. Loin de tourner au bric-à-brac ou au cabinet de curiosité, ce panthéon témoigne dun haut degré dintégration et sarticule dans lespace de la représentation. Cela tient dabord à la technique de J.-L. Verna. Le dessin qui est probablement la technique la plus immédiate fait lobjet chez lui dun travail délaboration secondaire, de condensation, de déplacement extrêmement précis. Du papier il passe dabord au calque, puis à la photocopie, où il est agrandi et en quelque sorte bâclé, sa finesse et sa virtuosité cédant devant lapproximation dune technique de reproduction sommaire dautant que J.-L. Verna préfère les machines les plus rudimentaires. Cette photocopie 'cheap' est ensuite frottée au trichloréthylène pour être reportée sur le mur, sur de vieux papiers ou des tissus, avant dêtre reprise à la pierre noire, au crayon de couleur et au fard à paupières. Quatre phases qui mettent toutes en balance perte et regain de maîtrise, distanciation et retour de laura.
Mais la technique nest que lexpression dun travail imaginaire plus complexe. Loin dune esthétique du collage, son monde se constitue sous le signe de la continuité graphique : la montagne des films Paramount est toujours là, mais de manière précaire, et elle ne se recompose vraiment que là où elle est déviée, niée, dans la nouvelle légende que J.-L. Verna impose (« Paramour » / « Paramor »). Cest un monde de métamorphoses plastiques permanentes où la fée médiévale évoque tout à fois la prostituée baudelairienne, la star hollywoodienne, les figures mièvres de Walt Disney, un ensemble de signes à son tour confronté à limage de sa déchéance ou à un potentiel de révolte identifié au rock.
Ce jeu de renversement des symboles, de travestissement ou de mascarade qui caractérise le travail de J.-L. Verna rappelle lesthétique de laltérité qui, au tournant des années soixante-dix, a mis à mal le modèle positiviste sur lequel reposaient les avant-gardes. On y retrouve le même intérêt pour la citation, la manipulation des signes et les questions identitaires (féministes, homosexuelles ou raciales). Mais, le travail de J.-L. Verna relève moins de la critique que dune ré-affirmation du désir violente et dérisoire. Léger comme le fard dont il rehausse ses dessins, son regard est de lordre, non du pulsionnel, mais de lérotique, non de lorganique, mais dune morale ou, plus précisément, dun usage des plaisirs, dune diététique de la vision. Hautement sophistiquée, il peut sapparenter, du fait de la répétition inhérente à sa technique, à une forme de délectation morose. Cest que son regard a toujours conscience de la vanité des symboles, de leur artificialité. Et le propre de cette conscience de la vanité est de sexercer dans lhumour et le dérisoire, ce qui le distingue peut-être du « Pornocratès » de Félicien Rops, symbole de la toute puissance dun désir aveugle, bestial et vénal.
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