Si Éric Poitevin continue de vivre et de travailler à quelques kilomètres doù il est né, cest sans doute à cause des sous-bois, des champignons, des marécages, des chasseurs et de la pêche à la ligne. Les détours dépaysants la Villa Médicis à Rome, la Corse ou ailleurs lont toujours ramené dans la Meuse, ce lieu quil habite et dont il ne cesse d'apprivoiser le ruissellement végétal pour mieux en inventer l'espace qui figure le monde qu'il aime. É. Poitevin est un sédentaire qui voyage sur place, dans un périmètre défini dont il ne sent, pourtant, aucune limite.
Sans pratiquer un fétichisme de la technique, É. Poitevin aime à sattarder sur les conditions de réalisation d'une image photographique : de ce quil prélève dans le monde et quil traite (car il ne sagit pas dun simple enregistrement) et travaille dès ce premier moment et jusquau tirage final. Photographe, il revendique la présence organique, physique des images, mais glisse sur leur objectivité. Sil explore une gamme typologique existante héritée de lhistoire (le portrait, le paysage, la nature morte), il la revivifie dun point de vue tout à fait personnel qui contrecarre lidée même que lon a de cette tradition. Leur codification lui est étrangère, leur lexique nest pas son fait. Cest son regard, subjectif, comme celui du spectateur, qui importe. Et qui se traduit par une véritable mise en forme des sujets : le cadrage, la lumière puis le tirage, le format, le papier. Sil simpose un éclairage juste cest pour que lobjet révèle sa propre densité. Sil utilise le négatif cette dernière ou première couche pelliculaire cest que celui-ci trouble les modalités de la représentation par la gamme atténuée des couleurs qui dissout l'évidence du sujet.
« Toute photographie est un montage », dit-il. Les siennes le sont, parce quelles laissent le temps sy installer. Lorsque le temps sécoule, il se glisse toujours quelque chose « même si rien ne bouge », « juste des choses discrètes, de lordre de la méditation, et non pas de lordre de la preuve ». Quil sattache aux visages ceux des anciens combattants de la Première Guerre mondiale (1985), des moniales et des cardinaux (Rome, 1990) , aux chevreuils morts (1993), aux crânes « vus de dos » (1994), à une collection de papillons (1994), aux marécages (1987), aux sous-bois (1995), aux arrière-trains de chevaux (1999-2000), aux arbres (1999-2000), aux os à moelle (2000), cest toujours la fragilité des choses qui affleure à la surface des images. Parce que les images dÉ. Poitevin intègrent la temporalité et quelles nous la restituent, après coup, dans une vérité qui appartient à lhistoire de chacun. Parce quelles demandent, parfois, des mois dattente pour que lobjet de la photographie parvienne à se constituer sous la forme dun paysage marécageux dans la lumière dun petit matin, d'un arbre aux branches dénudées de feuilles traçant un réseau sombre de lignes puissantes dans un ciel pâle ou de corps danimaux morts entremêlés. Suspendue, la vie y palpite encore, pourvu que, face à limage, nous la prolongions dans lespace invisible de notre attention pour ce quelles nous montrent.
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