Dès son enfance, Haralampi Oroschakoff a été profondément exposé à l'histoire de l'Europe de l'Est. Partagée entre la Russie et les Balkans, sa famille quitte Sofia pour l'Ouest en 1966. De ce statut d'émigrant naît son intérêt pour les problèmes de communication et de mémoire, les échanges et les conflits interculturels qui caractérisent son travail depuis 1984.
Ses premières actions telles « Der Heilige Welt » (1981-82) s'attachent à définir le sentiment d'étrangeté ressenti par les émigrants à Vienne. À la même époque, un séjour au Mont Athos le convainc de l'importance d'une réflexion sur la notion de racines.
Simultanément il arrive à la conclusion que la pratique artistique ne doit pas se réfléchir elle-même dans un geste formaliste, mais qu'elle doit servir de support à une vision culturelle globale ce qui explique que le travail de H. Oroschakoff ne privilégie aucune technique en particulier. Dans « Cambio » (1989) et « Dandolo » (1990), il s'interroge sur les liens de la civilisation occidentale avec Byzance en rappelant sa destruction par les Croisés et l'empreinte que l'ancienne capitale de l'Empire d'Orient a laissée sur la pensée occidentale. La 'Perestroïka' et la chute du mur de Berlin en 1989 permettent à H. Oroschakoff de multiplier les contacts avec les milieux culturels de l'Est. Ces contacts débouchent sur « Kräftemessen » (1995), un travail collectif (auquel participe par exemple le critique et historien de l'art Boris Groys) qui donne une image des différents courants de la scène artistique moscovite. L'activité de H. Oroschakoff s'élargit alors à d'autres types d'interventions : conférences, débats, publications, organisation d'expositions, touchant toujours au domaine de l'émigration et des rapports Est-Ouest. Avec « Instant Archeology » (1995) il fait preuve de sa volonté de formaliser les témoignages et les problèmes nés de ces bouleversements socio-politiques, tout en préservant leur dimension processuelle.
« Être au bord du monde. Voyageurs et orientalistes » est un autre exemple de cette recherche de formalisation : son dispositif complexe repose essentiellement sur l'alternance de deux types de peintures. Les premières (« Voyageurs et Orientalistes ») parodient des œuvres du XIXe siècle (Gérome, Chassériau, Répine, Kasatkine, Seroff, etc.) dont on peut dire qu'elles ont servi de modèles à la formation d'un Orient mythique où se projetaient au fur et à mesure des campagnes de colonisation les fantasmes occidentaux. Les secondes (« Colonisations ») parcourues de schémas, de signes et de mots, construisent une sorte de topologie abstraite du monde où le spectateur est invité à déchiffrer les bouleversements géopolitiques et les antagonismes culturels à l’œuvre dans l’aire eurasiatique. D'une certaine manière, H. Oroschakoff produit donc pour l'Europe de l'Est un équivalent plastique de ce qu'Edward Said a démontré à propos du rôle de l'orientalisme dans la vision que le monde occidental s'est faite de la civilisation arabe. La série de « Croix » qui est présentée parallèlement à cet ensemble participe du même constat : en s’appropriant le motif de la croix byzantine, Oroschakoff l’intercale entre l’icône et sa version suprématiste. Ainsi énonce-t-il l'ambivalence symbolique de toute forme d'abstraction.
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