Depuis 1959-1960, Julije Knifer peint ou dessine des méandres. À elle seule, cette forme résume son travail sans jamais en épuiser l’expérience. Expérience fondamentale d’un rythme résultant de la disposition des séquences verticales. Expérience aussi d’une temporalité qui vient en quelque sorte s’annuler dans ce jeu de répétitions et de différences J. Knifer allant jusqu’à affirmer : « J’ai peut-être déjà fait mes dernières peintures, mais peut-être pas encore mes premières. Mes premières peintures me rappellent l’avenir. »
Mais cette volonté de suspendre le motif dans une durée paradoxale, propre à la création, n’équivaut pas à le priver de tout contexte. Car le méandre a une histoire et une préhistoire. Il apparaît alors que J. Knifer est actif au sein de Gorgona un groupe d’artistes et de critiques de Zagreb qui ne s’étaient pas fixé d’autre programme que celui de revendiquer une absolue liberté de création dans un esprit explicitement dadaïste. Issu d’une réduction drastique des moyens plastiques, fondé sur le simple contraste du blanc et du noir, monotone jusqu’à l’absurde, le méandre s’inscrit bien dans l’héritage nihiliste de Dada dans la mesure où il était conçu par son auteur comme une forme « d’anti-peinture ». Mais c’est évidemment dans le mouvement de l’abstraction constructive du début des années soixante que le méandre de J. Knifer prend tout son sens. En regard des réalisations de François Morellet ou de celles des membres du Groupe Zéro, mais aussi des œuvres majeures de la peinture américaine dans lesquelles venait se dissoudre le rapport de la forme et du fond, qu’il s’agisse des bandes de Frank Stella ou des cercles concentriques de Kenneth Noland. Sans jamais devenir systématique, le méandre se révèle par la suite susceptible de multiples interprétations : dessins où depuis les années quatre-vingt le travail du graphite est si intense qu’il devient la métaphore d’une lumière noire ; peintures murales où, comme au Mamco en 1998, son pouvoir de structuration de la surface se mesure à l’espace d’exposition et donne lieu à une expérience littéralement physique du rythme ; 'Process' et 'Land art' comme dans la toile de 600 m2 peinte en 1975 dans une carrière près de Tübingen autant d’expériences dans lesquelles se vérifie l’existence de ce qui n’est, selon les termes de J. Knifer, qu’une « idée ».
Mais le méandre a aussi une préhistoire. C’est un élément de celle-ci qui vient s’exposer dans la série d’autoportraits réalisés en 1949-1952, tous suivant un principe identique et avec une conscience des enjeux plastiques qui préludait bien de son évolution future, comme le montre ce qu’il en disait à Zvonko Makovic en 1990 : « Je voulais avant tout éclaircir certaines choses pour moi-même, et cela commença ainsi, je pris un miroir et je contemplais littéralement jour après jour mon visage dans le miroir et je commençai à dessiner un autoportrait. Je dessinais chaque jour un autoportrait, toujours du même format, toujours avec la même expression. Je n’aurais pas cru que je dessinerais une centaine de tels autoportraits, et j’en ai réalisé près de deux cents. J’ai alors découvert qu’il ne s’agissait aucunement d’un autoportrait, mais d’un rythme monotone. Oui, avant tout d’un rythme. À partir de cette succession rythmique, j’ai réalisé que je ne voulais pas créer un tableau unique, pas d’œuvre qui se suffirait à elle-même. Je comprenais mon dessin comme un élément d’une série d’œuvres. »
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