Ann Lee, petite femme virtuelle qui nous est déjà devenue familière par les films de Philippe Parreno, « Anywhere out of the World » (2000), et de Pierre Huyghe, « Two Minutes out of Time » (2000), revient à la vie dans le film réalisé par Dominique Gonzalez-Foerster. Il ny a pas si longtemps, Ann Lee reposait dans un catalogue de modèles de la firme graphique japonaise Kworks, sans autre avenir que dattendre quun dessinateur en mal dinspiration vienne animer sa mauve silhouette et ses grands yeux en amande. Philippe Parreno et Pierre Huyghe lont sortie de sa léthargie et lui ont donné un autre destin que celui dun personnage secondaire de bande dessinée japonaise parfaitement codée en lachetant pour en faire la créature dun projet collectif, « No Ghost, Just a Shell ». Libérée, Ann Lee est confiée à limaginaire des artistes pour quils travaillent avec ce « personnage bon marché, amené à disparaître très vite », et pour quils lui prêtent « un caractère, un texte, une dénonciation, le plaidoyer dun procès. Faire en sorte que ce personnage puisse vivre différentes histoires. Quil puisse agir comme un signe, comme un logo actif... »
Sous la pluie qui strie l’écran, Ann Lee murmure en japonais, de sa douce voix synthétisée, une prophétie menaçante : « Il n’y aura pas de zone de sécurité ('Anzen Zone', en japonais), vous allez disparaître de vos écrans […] Il n’y a nulle part où aller, absolument nulle part dans cet univers complètement perdu […] Vous serez tous envoyés vers un lieu sans retour, c’est un voyage vers nulle part. » Errant dans un vide sidéral, fantomatique personnage aux yeux sans fond, Ann Lee retrouvant son identité originelle japonaise, se confond et se détache de son double anglophone, monologue, de sa voix indéfinie, promesse de disparition, avertissement glacial, menace programmée. Silhouette adolescente au déhanchement maladroitement mécanique, être-miroir absorbant nos projections imaginaires, Ann Lee se déplace sur l’écran dans une lenteur poétiquement mélancolique. Elle nous touche, parce que nous voulons voir ce simple signe, produit destiné à un marché, capable d’absorber et de réfléchir ce que notre imaginaire projette.
Lindustrie plus ou moins culturelle avait destiné cette créature manga à nêtre quune vague héroïne de fiction bon marché et la voilà devenue, par une émancipation décidée par des artistes, un personnage en devenir, endossant, le temps dune intervention artistique, les questions que se posent les artistes devant une image, une fiction qui « instrumentalise limaginaire collectif ». Elle montre comment, artiste ou spectateur, nous réagissons lorsquune « coquille vide » autrement dit un simple dessin séduisant la part de notre sensibilité restée infantile, comme nous en livre par poignées la science-fiction bas de gamme est habitée par un imaginaire souvrant aux autres et à toutes les interprétations possibles. |