Bruno Gironcoli occupe une place singulière dans le
champ de la sculpture contemporaine, en particulier
avec ses œuvres monumentales qui se présentent comme
des sortes d’autels hybrides, voire extra-terrestres, qui
mêlent des composants mécaniques à des motifs organiques.
L’œuvre oscille constamment entre la représentation
d’éléments abstraits et un réalisme corporel comme
pour mieux se dérober à toute interprétation thématique
ou iconographique.
Pourtant, à y regarder de plus près, c’est bien un motif
classique qui est au centre du travail de Gironcoli, puisqu’il
ne cessera d’étudier la figure humaine. Dès le début des
années 1960, il cherche à façonner une image contemporaine
du corps humain. Il s’inspire du travail d’Alberto
Giacometti, pour sa capacité à réconcilier le conflit entre
la manière dont les choses apparaissent et ce qu’elles
sont réellement. Avec ses premiers travaux— des dessins
d’après modèle consacrés d’abord au visage puis au corps
dans ses différentes postures —, il recherche l’essence de
la figure humaine et il expérimente les meilleures manières
de traduire des thèmes abstraits dans le travail du portrait.
Cette manière classique d’aborder le motif contraste avec
son approche de la sculpture où il rompt d’emblée avec les
matériaux traditionnels tels le bois, le marbre ou le bronze,
pour privilégier les nouveaux matériaux de l’époque comme
le plastique et surtout le polyester qui sera déterminant dans
son travail. À l’aide de ce matériau issu de l’industriel, il va
créer des objets au vocabulaire formel extrêmement réduit
et qui resteraient difficilement saisissables s’il n’y avait le
titre : Kopf. Il débute son travail de sculpture avec une série
de têtes (Kopf) qui apparaissent davantage comme des « objets spécifiques » que comme des bustes, et qui semblent mettre en jeu leur rapport au mur et la perception de l’objet dans l’espace. Ces œuvres sont aussi le moyen d’explorer les possibilités formelles du polyester et de tester ce que la qualité pauvre du matériau peut transmettre. Gironcoli a aussi
peint ses prototypes avec des couleurs bronze, argent et or.
Ce recouvrement métallique fait penser à de la fonte mais
au lieu de conférer une qualité spécifique aux objets, cette
peinture semble les moquer et accentuer leur aspect artificiel,
presque kitsch. L’usage de ce matériau manufacturé,
de qualité médiocre, a peut-être été influencé par le Pop Art
américain ou par l’Actionnisme viennois que Gironcoli suivra
très attentivement. Ce qui retient son attention, c’est probablement
la volonté des Actionnistes d’intégrer le monde
réel dans le travail artistique et de tester les limites de l’art.
Mais, contrairement aux Actionnistes, Gironcoli ne cherchera
pas à détruire les genres artistiques et n’abondonnera
jamais la sculpture. Il retiendra en revanche la notion
de rite et de sacrifice, une manière de mêler le sacré et le
prosaïque qui trouve sa pleine expression dans son œuvre Gelbe Madonna (1975-1977). Cette œuvre marque aussi le
terme de ses recherches sur l’installation pour travailler sur
un objet clairement isolé par son piédestal. La sculpture se
présente pour la première fois comme un autel, qui se donne à la fois comme un lieu de rituel et un objet obsessionnel.
Cette idée d’un plateau ou d’un décor où les protagonistes
semblent se mouvoir dans l’espace de la sculpture trouve
sa pleine expression dans l’activité du dessin que Gironcoli
mène parallèlement à la sculpture. Ses dessins abordent la
figure humaine plus frontalement et mettent en scène un
corps blessé, torturé, violenté qui semble être intégré dans
une forme de cérémonie ou de chorégraphie. Mais les dessins
sont aussi une manière de travailler un espace comme
une véritable scène qui serait le lieu d’un happening ou d’une
performance. Ils ne sont jamais une illustration d’œuvres existantes
ou à venir. Ces dessins sont un peu comme si Gironcoli
rendait manifeste le lieu de production de ses sculptures, ses
fantasmes scéniques ou leur futur contexte. C’est aussi à la
même époque, vers la fin des années 1970, qu’il va établir un
répertoire de formes de taille modeste qu’il présente dans
des vitrines. Ces sculptures deviendront bientôt des modules
qui se retrouveront dans les compositions de grands formats.
Ainsi les bébés, les larves, les grappes de raisins, les épis
de blés ou encore les figures phalliques et vaginales vont
constituer le vocabulaire formel qui va trouver son expression
monumentale dans des assemblages qui mettent en évidence
un travail intuitif et en constante transformation.
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