Pierre-Philippe Freymond met en forme le jardin de tous les possibles, en présentant d’inquiétants incubateurs à tulipes. Des bulbes flottent dans de grands bacs aseptisés alors que sont diffusées en boucle des images d’un élevage de veaux et que des enceintes envoient toutes les trois minutes des pulses de sons en infrabasses. La présentation clinique et froide peut troubler les visiteurs, mais le dispositif, bien plus pervers, les alarmera davantage. En effet, l’artiste, biologiste, a incorporé au liquide de culture de l’ADN de veau et des substances mutagènes rendant une absorption possible par les plantes. La chimère est donc bien réelle, les végétaux pouvant potentiellement intégrer à leur patrimoine héréditaire des séquences d’ADN constitutives du monde animal.
Si l’installation de P.-Ph. Freymond se sert des progrès récents de la science et convoque des problématiques actuelles qui leur sont liées, elle s’intègre également à une histoire de l’art des jardins, un art de confrontation entre nature et culture. On peut se rappeler ainsi qu’un jeu de sélections naturelles assidu a éloigné, par lente modification génétique et à seul dessein esthétique, les multiples variétés de tulipes de leur ancêtre commun provoquant des périodes historiques d’engouement frénétique.
Hormis la volonté d’astreindre le monde végétal à une forme esthétique artificielle, l’histoire des jardins relève de l’affrontement de deux chronologies distinctes, le temps organique et l’éphémère de la vie humaine. Si le premier connaît un cycle naturel qui nous a permis de rythmer notre quotidien, la proximité artificielle et organisée avec celui-ci ne fût conçu que comme rappel de la fragilité de notre existence : pas de cimetière sans fleurs, pas de parc sans arbres centenaires.
Toutefois, l’installation de P.-Ph. Freymond bouleverse les standards de cette confrontation. Si rien du processus génétique potentiel n’est visible, le savoir effectif au moment même où on contemple les végétaux le rend omniprésent. Si l’une des angoisses récurrentes du romantisme était de prendre conscience des forces naturelles, fût-ce en parcourant des espaces étudiés et élaborés pour les suggérer, la vague connaissance courante des avancées scientifiques actuelles nous inquiète, à l’inverse, par la possibilité qui semble offerte aux hommes de reprendre le contrôle absolu de la puissance de création.
Mais si tout aménagement végétal est un rapport de force, il n’en est pas moins une construction fragile et légère. Il en va de même de « Chimère 1 » : à la lumière de néons horticoles, les corolles et les tiges de tulipes nous apparaissent dans leur grande vulnérabilité. Et comme tout jardin est un art vivant, cette œuvre a une vie cyclique.
Floraison prévue le 21 mars, jour de l’équinoxe de printemps.
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