La force des faibles
Le travail de Laurent Faulon est généralement éphémère ou réversible. C’est un art d’intervention ; il crée des situations. Un moteur de Renault 11 ronronne solitaire dans une pièce entièrement recouverte de moquette rose qu’il macule de cambouis ; des lustres à pampilles éclairent les stalles en béton d’une étable industrielle désaffectée en bordure d’un aéroport : on sort de là noyé sous des flonflons bavarois ; une guirlande d’ampoules, branchée sur la batterie d’une Peugeot 205, allume dans le lit du Rhône une constellation sous la nuit étoilée ; des fauteuils et des canapés de rebut remplissent toutes les salles d’une galerie sur fond de musak et de cris de porcs dans une odeur de cire, de fumier et de purin ; des ventilateurs chorégraphient les entrechats de sacs en plastique glissant sur un lino vernis, autant d’installations visuelles, sonores et olfactives qui établissent avec le visiteur, le lieu et le moment une relation de tension poétique ou oppressante, toujours étrange et souvent inquiétante.
Le ressort de ce travail est à chercher du côté de la violence des rapports de domination, de l’animalité et de la sexualité qui brûlent les corps, des menaces sourdes ou spectaculaires qui tissent nos existences post-industrielles et de la mort qui ricane sous nos masques d’êtres domestiqués. L. Faulon travaille au plus près de cette condition d’angoisse. Il opère le plus souvent en marge de l’institution, dans des lieux abandonnés aux lisières de nos cités policées, des lieux détruits comme la mémoire de ce qu’ils furent et de ceux qui y travaillèrent. Il hante nos ruines sordides en développant une esthétique féroce du déqualifié, du sale, du répulsif. Il choisit ses matériaux parmi nos déchets pour remuer la boue de nos refoulés. Cet artiste indocile, rétif aux règles du jeu de l’art et du marché, nous tend un miroir implacable, glaçant jusque dans le banal, cruel jusque dans le burlesque.
Il a choisi d’associer au Mamco deux propositions dont la première, « Chapelle ardente », qui donne son titre à l’exposition, est constituée d’une trentaine de réfrigérateurs couchés, rigoureusemet juxtaposés comme des cercueils lors d’une catastrophe. On peut y voir une allusion ironique à la sculpture minimale mais le fait que les moteurs de ces réfrigérateurs s’allument par intermittences réglées et produisent une sorte de concert mécanique obsédant relève plutôt de l’humour noir que de l’ascétisme formel. Pour atteindre cet alignement de ready-mades à peine aidés, il faut traverser une irrégulière forêt d’étais métalliques qui semblent soutenir le plafond de la salle. Sauf qu’au lieu de s’arrimer au plafond, ces étais de chantier supportent sur leur plaque supérieure de somptueuses pâtisseries qui leur font de ridicules chapiteaux vaguement ioniques.
Humour, ironie, satire ne sont pas ici des jeux de société. Ils sont les armes joyeuses des faibles et des perdants contre l’intolérable et le tragique. Dans sa froideur sobre et distante, « Chapelle ardente » porte bien son nom qui vaut pour tout art dressé devant la destruction.
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