Sous des formes très diversifiées, les œuvres des Defraoui n’ont cessé d’engager des matériaux et des propos nouveaux, tout en restant entièrement liées à une unité de sens. Les critères formels qu’ils privilégient sont la relation à la photographie et au document, l’importance de la vidéo et des documents sonores, le passage sélectif du noir et blanc à la couleur, la répétition d’objets, d’idées, d’images, ainsi que l’exposition d’unités de mesure. Le sens du détail, du fragment, de la mémoire, de la projection, l’esprit de contestation, le refus de l’ordre établi sont des aspects majeurs de leur création. Leur travail écarte jusqu’à l’aversion la dimension d’harmonie et s’attache, au contraire, à l’opposition, au contraste.
« Les Archives du futur », dont certains travaux sont présentés dans l’exposition, a fait connaître le couple d’artistes internationalement. Comme l’indique le titre contradictoire, les œuvres consistent en des projections vers le passé et vers l’avenir. Savoir antérieur sous forme de textes et d’images, elles sont solidement ancrées dans la mémoire subjective, individuelle. La mémoire humaine, intelligence individuelle et collective du passé, collecte et préserve, crée de nouveaux points de vue, oscillation permanente entre hier, aujourd’hui et demain.
« La Route des Indes » (1978) développe également la question de la mémoire, qui constitue la dimension primordiale du processus artistique, intellectuel, philosophique, historique et personnel des Defraoui. L’œuvre se compose d’objets, de photographies trouvées en relation à des lieux étroitement liés à leur vie personnelle de certaines images de télévision, de mots et de concepts empruntés au journal de Christophe Colomb. La notion de « lieux de mémoire », entendue comme connaissance, naît de ce parcours artistique. Ce concept, chez les Defraoui, est lié à la notion de la ‘camera oscura’, avec sa projection inversée des images mentales. Leurs images insolites et familières à la fois font appel aux représentations d’un inconscient que nous partageons tous, à notre rapport au réel.
Les Defraoui ont été parmi les premiers artistes suisses à penser l’existence du virtuel telle que nous avons à la concevoir aujourd’hui. « Cartographie des contrées à venir » (1979) est la première installation vidéo de Silvie et Chérif Defraoui. Elle marque un tournant dans leur œuvre. Les artistes refusent résolument les thèmes habituels de l’art vidéo, leur formulation est d’une nouveauté surprenante. La disposition spatiale constitue un premier détournement, en supprimant la situation classique du regardeur passif face à l’écran de télévision. L’espace dominé par la table en tant que surface de projection permet au spectateur d’avoir une relation différente à l’?uvre: il pénètre physiquement dans l’espace créé par l’installation. Cette cartographie suggère une présence, aussitôt abolie par la mise en scène (il n’y a personne sur la chaise) mais une main gantée glisse et retourne des images, lieu de projection subjective de significations faisant appel à une mémoire tant individuelle que collective.
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