Philippe Decrauzat décline son travail sur plusieurs supports (peinture murale, châssis découpés, objets, installations, œuvres sur papier). Il élabore, dans des gammes chromatiques volontairement restreintes et par aplats des surfaces, de complexes compositions géométriques.
La grande peinture murale, installation, « Komakino » occupe la Rue au deuxième étage du musée. L’artiste a subdivisé cet espace en trois parties, accentuant ainsi la structure architecturale. En accédant par les portes palières, le visiteur est au centre d’un pattern, répétition régulière mais non continue, de motifs noir et blanc. Philippe Decrauzat utilise ici, comme base de sa composition, la forme géométrique d’une perforation de la « dreamachine » de Brion Gysin. La proportion des éléments ne permet pas de distinguer le fond du motif. Le spectateur peut y voir des pointes hérissées ou des hublots. La découpe particulière retrouve, dans cette structure, sa fonction d’origine provoquant par sa récurrence une déstabilisation de la perception spatiale.
Sur un des murs du couloir, une composition géométrique suggère un point de fuite vertigineux. L’artiste l’a volontairement contrainte dans cet espace étroit qui n’autorise aucun point de vue englobant. L’effet de convergence que suggère le motif est ainsi quasi tautologique : le couloir se double d’un couloir.
Des filaments bicolores segmentent la dernière paroi. Partant du plafond, des bandes rouges et vertes s’effilent sur le bas. La surface laissée blanche semblent jaillir sous la composition régulière.
La complexité des jeux perspectifs élaborés par Ph. Decrauzat fait vibrer les murs. Ses interventions déstabilisent l’espace, le creusent et le dilatent. Les structures optiques de ses grandes compositions murales transportent le visiteur dans un univers de science- fiction. Les motifs évoquent des portes, des passages, des trous. Le visiteur est au centre d’une boîte dont chaque côté semble ouvrir sur des univers contigus. La Rue devient un sas, une zone de décompression, de passage possible vers d’autres dimensions. Toutefois, aucun autre espace n’est accessible, il ne s’agit là que de plans amorces successifs. L’impression est toute cinématographique.
Ph. Decrauzat n’hésite pas à dédoubler son travail, en accrochant sur les peintures murales, des œuvres encadrées. Il casse ainsi les simples effets d’optique, pour engager une réflexion sur des problématiques propres à l’histoire de son médium. Il réactive, en un sens, une des métaphores dominantes de l’histoire de la peinture, la représentation comme fenêtre ouverte sur le monde, en produisant des œuvres qui sont des ouvertures sur des espaces imaginaires. Alors que, dans un autre sens, il affirme avec force leur matérialité plastique. Ainsi, Ph. Decrauzat rejoue-t-il des données premières de la peinture, tout en biaisant avec les poncifs de l’analyse sémiologique du médium (champs, plans, lignes, etc.). « Je pense parfois que la peinture continue de m’intéresser parce qu’elle est inefficace, technologiquement dépassée(1). »
(1) entretien avec Fabrice Stroun in « Progress Report », Genève, JRP, 2003
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