Une femme, assise devant une machine à écrire, le sexe largement ouvert au regard, une autre dont la robe dissimule mal des attributs masculins qui pendent entre ses jambes, une figure hydrocéphale exsudant une sorte d'ectoplasme sanguinolent, un cul faisant office de visage avec des yeux en forme de fenêtres, une maison-sucette pleurant toutes les larmes de ses fenêtres... le corps en folie forme apparemment le lot commun des dessins de Béatrice Cussol.
Cette folie est pourtant trop délibérée, trop concertée, pour que ces dessins puissent relever de l'art brut. Il suffit par exemple de considérer l'espace blanc sur lequel se profilent ces scènes fantasmatiques pour saisir la distance qui les sépare des œuvres des artistes marginaux auxquels s'intéressait Jean Dubuffet. Cette maîtrise globale de la composition se retrouve au niveau du traitement de la ligne : elle est tout à la fois contour, qui cerne parfois durement les formes en permettant de les identifier sans ambiguïté, et arabesque. Élégante jusqu'à en être maniériste, elle est alors simultanément le signe qui trahit le mieux l'indéterminé, l'étrange, la confusion, support au jeu de l'attirance et de l'abjection. L'aquarelle, la gouache ou le feutre fonctionnent suivant le même mode : réaliste, la couleur subit des altérations qui donnent lieu à des déviances plus ou moins infâmes. C'est explicite avec les roses chair parsemés de taches plus sombres où le spectateur a tout loisir d'identifier des rougissements de honte, ou des traces de dermatoses, voire de nécroses bien qu'il lui faille garder à l'esprit que rien ne viendra confirmer ce type d'assertion clinique ou psycho-logique.
Ce travail de recherche plastique participe évidemment de l'univers mental que B. Cussol veut créer : fantasmes, plongée dans l'inconscient, retour du refoulé, exacerbation de la sexualité, obsession de la transsexualité sont les termes qui sont les plus susceptibles d'être apposés à ces dessins. Il faut cependant se garder d'en faire un moyen pratique de mettre à distance leur contenu précis. S'il y a chez B. Cussol une expérience de l'étrangeté, elle est profondément enracinée dans le concret. Parler abstraitement d'exhibitionnisme, d'hypersexualisation, de féminité régressive ou de tendances schizoïdes reviendrait d'abord à nier que les affects sont liés à des situations précises et que rapporter, par exemple, le motif de la maison à une déformation du corps telle qu'une bosse sur le dos, à une sucette glacée ou à une seringue contribue à créer des récits à chaque fois singuliers. Ce serait oublier aussi que ces affects sont véhiculés sous des formes extrêmement sophistiquées. Car son travail naît d'un creuset où se mêlent également les héroïnes impubères des mangas, avec leur graphisme simplifié et brutal, les enchaînements de personnages caractéristiques des danses macabres de la fin du Moyen Âge, la froideur clinique et le cynisme caricatural dont faisait preuve la Nouvelle Objectivité allemande dans les années vingt, ou encore la préciosité et l'érotisme violent des dessins d'Aubrey Beardsley
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