L’œuvre de William N. Copley est une auberge espagnole où chacun puise avec délices ce que lui suggèrent les scènes débridées, toujours drôles, parfois grinçantes, de cet artiste autodidacte qui se forme l’œil et la main au contact d’œuvres devenues iconiques « Ceci n’est pas une pipe », « Portrait du Marquis de Sade », « À l’heure de l’observatoire » collectionnées au fil des rencontres et des amitiés.
Longtemps confidentielle, connue d’un cercle d’artistes (Duchamp, Man Ray, Max Ernst, Magritte, Roberto Matta) qui furent ses amis, puis des visiteurs de quelques rares galeries, la peinture de Copley fait son apparition sur la scène internationale en 1972, lors de la Documenta V de Kassel, pour laquelle il réalise une série de dix drapeaux nationaux, « Imaginäre Flagge », revisités par l’esprit libertin, caustique et insolent qui sous-tend son œuvre.
Enfant adopté par un riche magnat de la presse américaine, Copley se découvre une dévotion pour la littérature (Joyce) et pour l’art, au travers de la collection paternelle, constituée de « mauvais vieux maîtres », mais dans laquelle il voit des choses « terriblement excitantes ». Avec le peintre John Ployardt, il côtoie le surréalisme et ouvre en 1947, au cœur de Beverley Hills, « Copley Galleries » dans laquelle seront exposés les surréalistes en exil et les toutes premières boîtes de Joseph Cornell. L’entreprise, qui tourne vite au fiasco financier, sera à l’origine de sa collection.
De même qu’elle prévient toute obligation d’un travail à caractère alimentaire (ce qui explique la grande liberté d’exécution qui fut la sienne), la fortune de Copley lui permet d’aider un nombre important d’artistes, par l’intermédiaire, notamment, de la revue S.M.S (Shit Must Stop) qui réunira dans six portfolios parus entre février et décembre 1968, soixante-treize multiples d’artistes, confirmés ou émergents, ainsi que les productions de ‘Congo’, « le seul chimpanzé capable d’utiliser un pinceau avec discernement ». C’est grâce à la Fondation Cassandra, créée par le couple Copley en 1954, que l’œuvre « secrète » de Duchamp : « Étant donné : 1° la chute d’eau / 2° le gaz d’éclairage », entrera dans les collections du Musée de Philadelphie.
L’univers de Copley, c’est la liaison Paris-New York sans décalage horaire. Installé de 1951 à 1964 à Paris, où il accompagne Man Ray, Copley entremêle d’évidence, dans une œuvre à huis clos, la vie parisienne et ses vaudevilles, les ballades du poète populaire américain Robert W. Service et une totale absence de moralité. À Paris comme à New York, l’Église et la maréchaussée sont les piliers de l’ordre établi, et deviennent des protagonistes opérants et familiers des tableaux de Copley. Les figures qu’il esquisse ne sont pas des portraits mais des archétypes. La femme, séductrice, s’y trouve souvent dénudée, pérénisant le principe du « Déjeuner sur l’herbe de Manet ». L’homme, chapeau melon vissé au crâne, parapluie et costume de tweed vert, est, lui, l’archétype du bourgeois, sorti tout droit d’un tableau de Magritte ou des comédies de W. C. Fields. Passionné de voitures, Copley acte dans son œuvre la place grandissante qu’elle occupe dans la vie de chacun et la vision morcelée du paysage qu’elle induit. Dans des compositions qui se complexifient au fil des ans, par une sorte de perspective intuitive, et des effets de recouvrements où plane l’ombre de Picabia, Copley rend hommage aux femmes, et imagine, pour la postérité, l’érection d’un monument dédié à la prostituée inconnue.
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