Alighiero Boetti
exposition temporaire |
Alighiero Boetti, Mappa, 1971-1973 Coll. Annemarie Sauzeau Boetti © SIAE/Vegap © 2013, ProLitteris, Zurich |
Alighiero Boetti, Il Muro et autres œuvres in cycle L’Éternel Détour, séquence printemps 2013 |
En 1973, Alighiero Boetti commença d’accrocher, sur un mur de son appartement romain du Trastevere, des images, des dessins d’amis, des photographies, des pages de calendrier et des objets trouvés. Au fil des années, ce work in progress domestique constitua Il Muro (Le Mur), une sorte de constellation poétique personnelle. Une métaphore d’un parcours humain, le lieu intime d’une réflexion sur le monde. Réunion insolite d’un poème, d’un parchemin, d’une sérigraphie persane, d’une photographie de son fils à Kaboul, d’un croquis, d’une calligraphie, d’une note, d’un collage de sa fille, d’une lettre, d’une page de journal, Il Muro constitue une série de rencontres, de contacts contagieux desquels peuvent naître des significations inattendues. L’emplacement des pièces de la constellation variait, certaines devenaient centrales, d’autres étaient reléguées en périphérie ou, pour quelques-unes, sont devenues des œuvres indépendantes. A. Boetti a toujours revendiqué le métier de peintre même si, à 22 ans, il renonça à la peinture pour multiplier l’usage d’autres techniques et matériaux (collage, peinture au pistolet ou au pochoir, tampons, décalcomanie, frottage, calligraphie). Ayant débuté son parcours artistique à Turin au milieu des années 1960, dans la mouvance du mouvement de l’Arte Povera, il s’en est rapidement éloigné bien qu’il en fût un des acteurs importants : « On était allé trop loin dans l’importance accordée aux matériaux […], c’était devenu une affaire de droguiste. Voilà pourquoi en 1969, j’ai quitté l’atelier que j’avais […]. Je suis parti en laissant tout ça et j’ai recommencé à zéro avec un crayon et une feuille de papier. Le résultat s’appelle Il cimento dell’armonia e dell’ invenzione (L’exercice de l’harmonie et de l’invention). Cela consiste à faire des petits carrés. C’est cela qu’a signifié pour moi recommencer. » Devenue dès lors support majeur dans son travail, la feuille de papier, souvent quadrillée, lui permettra de développer de nombreux processus conceptuels visuels, de la forme géométrique simple à l’exploration du langage, auquel Boetti a porté une attention particulière, que ce soit en travaillant les lettres, les mots, les chiffres, les nombres, les phrases, les codes ou les dates. Les mots, leur configuration alphabétique, possédaient un potentiel poétique que Boetti a exploré en envisageant tous les modes de transcriptions possibles : redistribuer les lettres d'un mot selon l’ordre alphabétique, transcrire phonétiquement un mot épelé en italien, évoquer un mot par des virgules disposées selon des coordonnées invisibles. Ces calligraphies au stylo à bille sur papier, dont le griffonnage était délégué par Boetti à des mains souvent anonymes, laissent les signes émerger en blanc d’un fond coloré (noir, bleu, rouge ou vert). Une autre manière d’explorer le langage, pour laquelle Boetti a préféré la broderie en couleurs au papier, consiste en l’insertion de mots dans un carré : Ordine e disordine (Ordre et Désordre), 1973. Ces mots s’inscrivent sur cent broderies carrées, chacune étant partagée en seize cases ne contenant, à chaque fois, qu’une seule lettre. Cet « ordre » est contredit par la permutation des seize lettres sur chaque broderie. Lors de son deuxième voyage à Kaboul en 1971, Boetti, homme d’esprit nomade, fit broder par des artisans afghans la première Mappa, une carte de géographie sur laquelle les territoires nationaux sont remplis par les motifs colorés de leurs drapeaux. Durant une vingtaine d’années, plus de cent cinquante Mappe, de différentes couleurs et dimensions, furent brodées sur la base de ses dessins, formant ainsi son image du monde et donnant à voir le passage du temps et les changements politiques. La Mappa exposée au Mamco est l’une des premières réalisées à Kaboul entre 1971 et 1973. La batterie de Boetti a pris place dans cette présentation. Issu d’une famille dans laquelle on pratiquait la musique, Boetti, s’il n’est pas devenu le chef d’orchestre qu’il avait, enfant, rêvé de devenir, jouait de la batterie : « Le tambour est le seul instrument dont se servent, partout dans le monde, les shamans et les "hommes médecine" parce que l’on peut déclencher une transe par ses rythmes. Quelques fois, lorsque vous jouez, vous vous trouvez vous-même lévitant à un mètre au-dessus du sol. » |
Alighiero Boetti est né en 1940 à Turin ; il est décédé en 1994 à Rome. |