Les dessins de Jean-Luc Blanc sont une compilation du déjà-là : des images qu’il tire de films, de cartes postales, de photographies de presse, de revues, de prospectus… pour former un répertoire boîteux dont il dit qu’il est à la mesure d’un « scandale commun, criard au possible », à ranger dans « un espace indéterminé et définitif, disons, entre l’enluminure et la porcherie ».
Avant de parvenir à létat qui lui permet de pointer ce « scandale commun » ou, toujours selon ses propres termes, de « mesurer les racines de ce trouble quengendre toujours une image », J.-L. Blanc commence par multiplier des croquis quil laisse en quelque sorte se décanter. Cest dans cette phase que se déconstruisent les images déjà constituées quil sélectionne et que le motif est isolé. Résonnant dans le vide, hors du système signifiant dans lequel elle est habituellement perçue, la figure acquiert alors un caractère généralement incompréhensible. Comme un signe flottant, elle est projetée dans un espace où elle ne semble plus fonctionner que sur le registre du spectaculaire soit comme une forme didentification face à laquelle le spectateur doit faire appel à ses propres ressources pour recomposer un processus signifiant. Cest dans ce processus que chaque spectateur trouve loccasion dexaminer la manière dont se constituent les ressorts les plus nus et les plus brutaux de son rapport à limage : le pathétique et le sublime. Le pathétique, dans la manière dont une flamme de bougie, une chaise renversée, un crâne trépané, une femme accroupie de dos ou un homme en extase devant une banderole sur laquelle est inscrit « Jesus loves us » peuvent soulever des émotions qui semblent a priori susceptibles de saturer le champ de la représentation. Et le sublime, dans la manière dont les mêmes images renvoient presque inconditionnellement à leffondrement du langage le langage même qui devrait permettre dappréhender ces images dans leur singularité suivant des catégories rationnelles. Certes, de même quil na cessé depuis une dizaine dannées de raffiner les moyens de parvenir à cet effet (en passant notamment du dessin au trait à la couleur, en renforçant par des gros plans le travail de la fragmentation, ou en sintéressant à l'arrière-fond de ses figures), J.-L. Blanc nhésite pas à ébaucher des séquences narratives. En témoignent par exemple les brefs énoncés quil reproduit sur des fonds noirs comparables à ceux qui venaient sintercaler dans les films muets. Mais que signifient « dit say », « le cri prismal », ou « perles à rebours », sinon quil y a bien là production dune disjonction ou signe dune dysfonction qui ont pour conséquence de souligner la discontinuité de notre imaginaire. Sous ce jour, celui-ci napparaît alors pas tant comme un champ de ruines que comme un espace dont lidentité reste précaire et fluide, soumise à de multiples formes d'imprégnations, d'influences ou daliénations.
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