Décrire les effets de la prolifération des images sur la vie quotidienne, démontrer lemprise des codes commerciaux et publicitaires sur limaginaire, signifier les discriminations sous-jacentes aux formes du banal définissent les enjeux essentiels du travail de Pierre Bismuth.
Les premiers travaux de P. Bismuth sont pour ainsi dire des jeux de langage : un prénom est reproduit sur une toile (« Marc », 1988), de même quun nom de jour (« Mercredi », 1988) ou deux termes injurieux (« Salope / Pédé », 1988). Avec « Voyageur » (1989), il transcrit des verbes dun patois de la banlieue parisienne accompagnés de leur traduction (chourave / voler, griave / manger, pachave / dormir, marave / dormir, boulave / baiser). Ces travaux reportent le spectateur à lusage du langage, à ses effets particularisants ou dépersonnalisants, aux discriminations quil produit dans le champ social. Formellement, ces termes sont peints de manière impersonnelle ; ils sont mis à lépreuve dun design froid celui qui sert à réguler les comportements socio-psychologiques comme cétait aussi le cas de limage du corps féminin réduite à un logotype dans « Femme nue » (1989). P. Bismuth étend cette enquête avec des pièces telles que « Chantal », « Luis », « Bernard », « Malik », « Roger », « André », « Jan » (1992), des pellicules de latex tendues sur châssis à la surface desquelles vient effleurer un prénom qui renvoie à une raison commerciale, très connue dans certains cas, beaucoup moins dans dautres. Ces différences qui sont le signe de clivages socio-culturels, le résultat de concepts de marketing et de campagnes de publicité efficaces ou le reflet dun manque de moyens, correspondent aussi à des compartimentages spatiaux. Cest ce que montre la gigantesque topographie de Paris (dix mètres sur cinq) que P. Bismuth expose à Châteauroux en 1992 (« Sans titre »). Là, le phénomène dappropriation des prénoms par des raisons sociales est cartographié de telle façon quil révèle arrondissement par arrondissement les réseaux de distribution et les territoires commerciaux. La démarche de Bismuth nobjective cependant jamais ces enjeux sans prêter une très grande attention aux procédures artistiques. Ainsi, sa toponymie commerciale de lespace parisien était placée à une hauteur telle quil était impossible au spectateur de lappréhender globalement évitant de lui donner lillusion dune maîtrise que le sujet na pas dans une situation réelle. Replacé fictivement dans le cours dune dérive psycho-géographique, comme le préconisaient les situationnistes une trentaine dannées plus tôt avec leurs cartes fragmentées et recomposées, le spectateur est invité à déchiffrer lui-même les signes dun parcours qui reste subjectif. Quant aux surfaces de latex à la surface desquelles viennent se reporter les prénoms, elles signifient bien que la raison commerciale colle à la peau comme le fait son prénom pour chaque individu.
« Quelques comédiens au milieu de quelques acteurs » (1997-1999) propose une expérience semblable. Dans ce film, P. Bismuth a demandé à quelques comédiens de se placer dans la Galerie de la Reine à Bruxelles parmi les passants, les flâneurs, les consommateurs et les touristes. Au spectateur de deviner alors qui joue et qui ne joue pas, quels sont les comportements reproduits et donc distanciés, quels sont les formes et les effets de représentation mis en œuvre.
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