Silvia Bächli emprunte le titre de son exposition, « Poèmes sans prénoms », à trois dessins réalisés par Sophie Taeuber-Arp en 1939 et destinés à illustrer le poème du même nom de Hans Arp. Ces dessins témoignent d’un changement important dans le travail de S. Taeuber-Arp. Le trait libre y est traité comme un thème en soi et comme un support autonome du mouvement. On peut en voir un écho dans le travail de S. Bächli et interpréter cette citation comme un hommage à une artiste qu’elle admire. Ce qui est moins évident, c’est la coïncidence (auto)biographique qui a retenu son attention : S. Taeuber-Arp avait entrepris ce travail dans sa cinquantième année, l’âge qu’elle a aujourd’hui. Cette observation, a priori anecdotique, en dit long sur son mode de fonctionnement. Car toute l’œuvre de S. Bächli s’élabore à partir d’expériences personnelles, de moments qui semblent anodins mais auxquels elle sait donner une résonnance particulière. Ses dessins sont aussi des annotations, des souvenirs de sensations ou des fragments d’une mémoire en construction.
Le travail de S. Bächli ne peut néanmoins pas se réduire à la seule expression du personnel et de l’intime, puisqu’il s’élabore en trois phases d’égale importance. Elle procède d’abord par une exécution rapide et libre surlaquelle elle n’exerce aucun jugement. Dans un second temps, elle porte un regard critique sur ses dessins, choisit ceux qui seront conservés et écarte ceux qui seront détruits. Enfin, elle élabore les différents modes de présentation : certaines œuvres intègrent un ensemble qui détermine très précisément la place et la relation entre les dessins. D’autres, autonomes, peuvent, au contraire, être traitées dans une multitude de configurations au gré des circonstances et des lieux d’exposition.
L’architecture des espaces du Mamco proposés à S. Bächli induit une circulation continue. Partant de cette observation, elle choisit de ne pas traiter chaque salle de manière autonome, mais au contraire dans sa relation à l’ensemble, imaginant l’accrochage comme une ligne qui se déploie sur la totalité du parcours. Elle articule les espaces d’exposition de manière à proposer un dialogue, une conversation, qui se tiendrait entre les dessins, entre ceux-ci et le spectateur et enfin avec l’espace dans lequel ils se trouvent. La ligne de l’installation entraîne également l’idée de déambulation et de flânerie. Les photographies prises lors d’un voyage dans le nord du Canada qui ponctuent l’ensemble du parcours, incitent à regarder une partie des dessins comme autant de réminiscences des chemins parcourus, des espaces habités et des sensations enregistrées. Mais la ligne n’a pas qu’une dimension métaphorique puisqu’elle est aussi traitée pour sa qualité essentielle et abstraite. Cette apparente pauvreté du geste révèle la nature à la fois simple et complexe de ces œuvres. Ces tracés se dérobent à la description objective et convient à une autre forme d’appropriation. La force du travail de S. Bächli réside précisément dans sa capacité à démultiplier les points de vue pour obliger le spectateur à redéfinir constamment sa place et sa relation aux propositions qui lui sont offertes.
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