De son parcours buissonnier, qui la conduit après un court passage aux beaux-arts de Montpellier, à la City& Guilds de Londres puis à côtoyer le milieu de la mode, Sylvie Auvray tire un savoir-faire où la variété des techniques — huiles sur toile, encres de Chine, grès, céramiques, faïences émaillées ou recouvertes de peinture glycérophtalique… génère un univers qui pourrait être celui d’une jeune fille rangée si, à y regarder de près, on n’était saisi par le caractère d’« inquiétante étrangeté » de ces figures familières.
Après l’ouverture collective d’une galerie londonienne, Blue Door Gallery et en parallèle à la production d’impri- més et d’accessoires pour les stylistes Gaspard Yurkievich, Sonia Rykiel, Martine Sitbon et Bernhard Willhelm, Sylvie Auvray, mène une carrière de plasticienne pour qui la pratique quotidienne du dessin fédère la découverte de nou- veaux médiums, comme le moulage du béton auquel elle s’initie actuellement. Après l’exposition collective Sweet and Extra Dry en 2007, au Centre d’art Circuit de Lau- sanne, où elle répondait à l’invitation de Delphine Coindet, S. Auvray réalise sa première exposition personnelle en Suisse, au Mamco et présente ses plus récents travaux, masques, sculptures, peintures et dessins.
À la différence de ce que l’on appelle d’ordinaire « masque », les masques de S. Auvray ne sont pas nécessairement conçus pour être portés. Effigies humaines, animalières ou hybrides, ce sont des faciès d’échelles diverses, offrant une large palette de morphologies et d’expressions, du sourire au rictus, de l’effroi à la commisération… Zombies, figures momifiées, colorées, ternes, barbouillées, blafardes, dentues, glabres, hirsutes, pourvues de traits lupins, équins,murins, ursins, aviaires, reptiliens, simiesques... schématiques, fantastiques, ou simples loups… ces figures de substitution avec leurs orbites creuses nous renvoient au primitif et au refoulé en nous.
Dans leur sillage, ce que S. Auvray appelle « Bestioles », sont les figurants d’une étrange parade, passagers d’une arche qui n’aurait, contre toute attente, embarqué que les atrophiés, les difformes, les monstres… dignes de figurer, chacun, dans un Cabinet des Merveilles, aux côtés de tout un « fantastique naturel » comme la nature en produit parfois, ou de curiosités plus délibérément fantastiques comme les boîtes trembleuses et les squelettes de sirènes, fabriqués de toutes pièces pour les esprits crédules, épris de merveilleux. Rhino, Phoque, Gossip, Éléphant, Tête de Morse, Singe, Emmanuel, Deepo 1 & 2, Raton + brioche, Pepita, Petite tête orange… pourraient tout aussi bien voisiner, dans cet inventaire, avec la taupe à nez étoilé dont l’appendice ondoyant épouvante parce qu’il compose avec des éléments disparates une figure inédite et répulsive.
À la stupeur du premier regard posé sur les « Bestioles » succède « une sympathie sans laquelle il n’y a pas de rapport entre l’œuvre et le spectateur », comme l’écrivait André Breton dans L’Art magique. Car ces êtres de peu de choses,hâtivement réalisés selon des procédés plus empiriques que définis, où le hasard et l’expérimentation occupent une place non négligeable, attirent l’empathie du spectateur. Cependant, bien qu’attendrissantes et drôles, les « Bestioles », parce qu’elles s’éloignent de la reproduction du réel, provoquent de l’étrangeté, ce familier jusque-là anodin, interroge. Le traitement des surfaces, brut et sobre malgré les surcharges picturales de certaines sculptures évite, ici, l’écueil du kitsch. Il y a de l’intensité entre les « Bestioles » qui paraissent en conversation, à tel point que personne ne s’étonnerait de les entendre parler comme les animaux des Fables de La Fontaine, peut-être aussi parce que leur anthropomorphisme ne nous échappe pas.
Dans cet univers, les peintures de S. Auvray ne sont pas en reste et, si Pied appartient à un registre drolatique et incongru, Portrait 2 bascule dans l’étrange. Ce regard qui absorbe avec intensité celui du spectateur, évoque le portrait de Dorian Gray, reflet de nos noirceurs cachées. Certains projets réalisés d’un jet, dans des tonalités froides, voire en grisaille oscillent entre onirisme et nostalgie. Allusives à l’enfance, au travestissement, à l’Amérique rêvée, ce sont les images d’un monde qui n’est plus atteignable que par l’imaginaire.
Sylvie Auvray est née en 1974 à Paris
où elle vit.
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