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  John M Armleder 

expositions temporaires
Amor vacui, horror vacui  
Team 404 [Armleder Klasse–HBK Braunschweig], Yellow Pages  

présentations des collections
Modèles modèles 2   
en 1994  

Mamco, hors les murs
Artgenève, Armada  

 
 
 




John M Armleder

 

John M Armleder, après avoir baigné dans la mouvance alternative de Fluxus, a interrogé, à partir du début des années 80, l’abstraction et l’idée de modernité par le biais de l’appropriation et de la citation. Au-delà du dessin, de la performance et de la peinture, John M Armleder a développé dans ses installations une pratique multiple où des objets trouvés sont mêlés à des peintures abstraites géométriques ou monochromes. Ses « Furniture Sculpture » critiquent l’idée de style et portent également un regard ironique et distancié sur l’académisme de l’abstraction.

John M Armleder, avant de fonder Ecart en 1969, a participé à plusieurs activités – sportives ou de plein air, avec le groupe Luc Bois – qui pouvaient ne pas être directement assimilées à ce que l’on appelle habituellement de l’art. En réalité, ce groupe sera à l’initiative des créations collectives d’Ecart : dessins et collages à plusieurs mains, associés à une pratique du 'Mail Art'. Cette même année, J.M Armleder, Patrick Lucchini et quelques autres organisèrent le premier festival du groupe Ecart : « L’Ecart Happening Festival ». À partir de règles très simples, les « acteurs » exécutaient des actions éphémères, qui parfois faisaient intervenir le public et qui créaient des spectacles incontrôlables, désordonnés et turbulents.
Ce genre de manifestations tenait plus du 'Happening', dont la paternité se partage entre John Cage, George Maciunas et Allan Kaprow, que de l’« Event », inventé par George Brecht. Plus tard, J.M Armleder interprétera pourtant plusieurs de ces « Events », actions très courtes et assimilées à des pièces musicales. G. Brecht cherchait, en fait, à créer « une musique qui ne soit pas seulement pour les oreilles. La musique, ce n’est pas simplement ce qu’on entend, mais c’est tout ce qui se passe (1) ». Ainsi, G. Brecht, dans le sillage de John Cage, privilégia une forme autant sonore que visuelle.
Suivant les indications inscrites par G. Brecht sur de petites cartes réunies dans une boîte – « Water Yam » (1963) – J.M Armleder choisit, par exemple, de nettoyer le violon ou le piano de « Solo for Violin Viola Cello or Contrabass, polishing » (G. Brecht, 1962) ou d’apporter au public un vase garni de quelques tulipes pour « Piano Piece, a Vase of Flowers on (to) a piano » (G. Brecht, 1962).
Par leur modestie et leur pauvreté ces actions se réfèrent à des parcelles de vie. L’identification de l’art à la vie est ainsi réalisée grâce à la radicalité du concept et à la dérision du résultat. Cette résolution de la dichotomie entre l’art et la vie constitue, selon Dick Higgins, un des neuf critères (2) qui caractérisent Fluxus. Cette conception de l’art « c’est la vie », où tout est considéré au travers de rapports d’équivalence, a influencé tout le travail de J.M Armleder.

Dans ses premiers dessins, il adoptera cette attitude de distanciation par rapport à l’œuvre d’art. Il ne considère pas une œuvre comme un objet unique et indivisible. Un dessin n’a pas plus de valeur qu’un autre et peut être reproduit et réutilisé dans les suivants. J.M Armleder appliquera ce principe d’homologie non seulement à ses propres travaux mais aussi à ceux des autres artistes, comme il le dit lui-même : « Auparavant, je pensais que la nature d’un projet définissait la technique de réalisation par exemple un dessin ou une performance ne pouvaient être réalisés que sous forme de dessins ou de performances respectivement. J’en suis venu aujourd’hui à nier cette logique en produisant des objets sur des projets de peinture ou des dessins sur des projets d’environnement. Je ne vois aucune différence sérieuse entre ces productions et à l’extrême entre celles des autres artistes et les miennes (3) ». Toujours dans cette même logique d’équivalence, J.M Armleder prendra la liberté dans les dessins, les peintures et les « Furniture Sculpture », non pas de citer ou de plagier, mais plutôt de peindre « à la manière de », en l’occurence Casimir Malevitch, El Lissitsky, Piet Mondrian et Théo Van Doesburg.
J.M Armleder se définit d’ailleurs lui-même avec une certaine ironie comme une espèce de para-constructiviste ou suprématiste. Bien sûr, son corpus de références ne se limite pas aux seules avant-gardes russes et à De Stijl, il l’élargit aux peintres abstraits contemporains tels que Helmut Federle, Blinky Palermo, Olivier Mosset et Francis Picabia.
J.M Armleder ne privilégie pas un style plus qu’un autre, il procède davantage par addition et par juxtaposition. Les quelques expositions qu’il a organisées en témoignent clairement. Que ce soit le « Teu-gum Show » au Centre d’Art Contemporain (Genève, 1981), où étaient présentées simultanément les œuvres de H. Federle, Manon, O. Mosset, Salomé, un graffiti « New-Wave » et un Jean Fautrier, ou « Peintures abstraites » à la rue Plantamour (Genève, 1986) avec Lucio Fontana, Sol LeWitt, Robert Mangold, Mario Merz, Gerwald Rockenschaub, Robert Ryman, ou encore « Peinture » (1993) à la Galerie Art & Public, qui réunissait plusieurs jeunes peintres abstraits genevois, ces accrochages ont permis à J.M Armleder de démontrer qu’au-delà des différentes démarches, des analyses critiques et des mouvements successifs, il n’existait pas forcément entre les œuvres des rapports contradictoires et hiérarchiques.
Sans cynisme et sans irrespect, J.M Armleder rejoint dans cette lecture de la peinture moderne la littéralité chère à Fluxus. Par ailleurs, l’exposition « Peintures abstraites » témoigne du creuset dans lequel J.M Armleder a puisé le vocabulaire formel utilisé dans ses peintures.

Plutôt que de reprendre ces références telles qu’elles, J.M Armleder les libèrent de leur classicisme en les « redimensionnant ». Les formats sont souvent plus petits et horizontaux. Il choisit de préférence aux couleurs primaires du modernisme des tons plus 'pop' et ironiques tels que des rose vifs, des vert acides et des bleu pâles. S’il utilise des points, leur disposition 'all over' les transforme en patterns décoratifs (pois). Dans certaines toiles les pois sont argentés ou dorés et nous rappellent la prédilection de Wahrol pour ces couleurs. D’une part, déjà prêtes à l’emploi, elle permettent une distance due à l’impersonnalité du matériau. D’autre part leur brillance leur donne une valeur décorative.

Cette volonté de banalisation de l’œuvre d’art au travers du décoratif et cette distanciation par la citation trouvera son expression la plus complète dans les « Furniture Sculpture » dont les premiers numéros ont été réalisé en 1979.
Par de simples déplacements d’objets, J.M Armleder fait se croiser l’attitude Fluxus avec son répertoire de formes abstraites. La « FS 45 » (1983), par exemple, est composée d’une coiffeuse dont le miroir manquant a été remplacé par une peinture constructiviste, peinture dont les diagonales traditionnelles sont ironiquement redressées par la position basculée du meuble. À ce propos, J.M Armleder admet avec une certaine candeur : « Je ne sais pas d’ailleurs si ce n’est pas la peinture qui est Fluxus et l’objet constructiviste, ceci tient à des conventions de style. Il ne faut pas oublier que la plupart des constructivistes sont chargés d’élans mystiques et que dans Fluxus on découvre une détermination formelle et conceptuelle très serrée (4) ». Ainsi, J.M Armleder réussit à allier le sublime de la peinture abstraite à la pauvreté rigoureuse de Fluxus.
Cette ouverture va lui permettre d’échapper au dogmatisme de l’abstraction et également au phénomène de mode. Nous pensons évidemment au mouvement « Néo-Géo » de la fin des années 80, auquel il fut assimilé pour un temps. La difficulté existait de ne pas se faire emporter par cette vague. J.M Armleder, comme O. Mosset, devait se positionner par rapport à ce nouvel engouement pour l’abstrait. On retiendra d’une de leurs conversations la remarque de J.M Armleder « Le re-focusing permanent qu’implique la scène est plutôt salutaire et empêche éventuellement de s’académiser. La relecture décomplexée du modernisme et l’abandon d’un moralisme vertueux engoncé d’héritage académique permettent efficacement d’apprécier la situation, et malgré le réalisme cynique, avec plus d’optimisme (5) ». En réalité, la réponse que donne ici J.M Armleder est significative de cette position toujours volontairement décalée que l’on retrouve dans les choix des « Furniture » où le bon goût bourgeois succède au kitsch californien, le Bidermeier aux années 50 et le récupéré au flambant neuf.
Si ces meubles étaient d’abord une métaphore de la toile et du châssis – clin d’oeil peut-être à Support / Surface – ils sont le plus souvent combinés à la peinture ou y font directement allusion. « FS 181 » (1988), composée d’un rideau de rubans plastifiés et multicolores coincés entre deux plinthes de cuivre, nous rappelle, comme nous le précise J.M Armleder, un Morris Louis, un Ross Bleckner, un Jésus Rafael Soto ou simplement une toile cirée dans son cadre doré. Une série de références mêlée à la dérision des matériaux et à l’aspect bricolé de l’ensemble. (6) « FS 189 » (1988), par contre, associe une toile horizontale jaune encadrée de deux bandes verticales mauves à une batterie d’exercice. La toile sert de fond à l’instrument. Un fort contraste est créé entre le calme, la douceur du monochrome et la dynamique des plateaux ouverts dans plusieurs directions et dont le noir très dense tranche avec les couleurs claires de la peinture. On voit que dans un jeu d’aller-retour, si certaines « FS » sont de simples 'ready-made', d’autres pourraient être définies comme des peintures « assistées ».
En réalité, les « FS » autorisent un ensemble infini de possibilités formelles entre le contraste et l’équilibre, l’appropriation et la critique, le ludisme et le premier degré. J.M Armleder joue aussi un subtil jeu d’évitement entre le nécessaire et le relatif, le style et le non-style, l’engagement et l’auto-critique.

Afin d’échapper un peu plus à lui-même, il retrouve après le surréalisme, Marcel Duchamp et John Cage, cette disponibilité à laisser les choses au hasard. Avec la série des « Coulures », J.M Armleder déverse librement sur la toile légèrement inclinée les couleurs directement sorties du pot de peinture. Le résultat n’exclut pas, évidemment, la citation et J.M Armleder se plaît à nous rappeler la discrétion et l’élégance de Larry Poons.
Il n’oublie pas non plus, à l’instar de Laszlo Moholy-Nagy et d’Andy Warhol, que les autres nous offrent le meilleur moyen de se soustraire à nous-mêmes et il n’est pas rare que le choix des « Furniture », des couleurs et des motifs de certaines toiles, soit opéré par d’autres. (7)
La clairvoyance de J.M Armleder et sa volonté de se tenir au poste d’observateur nous fait découvrir une retenue et un effacement qui lui laisse la liberté de jouer aussi bien avec la pureté du minimalisme, la féerie et le luxe de l’ornemental qu’avec la légèreté poétique d’une chaise perchée en haut d’un arbre (« FS 87b », 1985).

Véronique Bacchetta


(1) Entretien d’Irmeline Lebeer avec George Brecht, Cologne, mars 1973 : « Les silences de George Brecht », in Catalogue « Octobre des Arts », Lyon, 1986, p. 5. (2) « Internationalism, experimentalism, iconoclasm, intermedia the resolution of the art/life dichotomy, implicativeness, play or gags, ephemerarity, specificity.» Dick Higgins, « Fluxus : Theory and Reception », archiv Sohm, Staatsgalerie Stuttgart, in « In the spirit of Fluxus », Walker Art Center, Minneapolis, 1993. (3) Texte de John M Armleder, « John M Armleder », in « le Dessin Suisse 1970-1980 », Musée Rath, Genève, 1982, p. 64. (4) John M Armleder, « Furniture Sculpture, 1980-1990 », Musée Rath, Genève 1990, p. 28. (5) « Conversation entre J.M Armleder et O. Mosset (1986) », in « John M Armleder, Helmut Federle, Olivier Mosset, écrits et entetiens », Musée de Peinture et de Sculpture, Maison de la Culture et de la Communication, Grenoble, Saint-Etienne 1987, p. 262. (6) In « John M Armleder, furniture sculpture ; 1980-1990 », Musée Rath, Genève, 1990, p. 25. (7) On peut se rappeler les tableaux de L. Moholy-Nagy commandés par téléphone à une entreprise d’enseignes émaillées. S’il gardait le choix des couleurs, il évitait par ce moyen la « touche personnelle » et refusait ainsi de privilégier l’aspect individuel de l’œuvre d’art. Voir à ce sujet : Laszlo Moholy-Nagy, « The New Vision », New York, Wittenborn and Co, 1928.


John M Armleder est né en 1948 à Genève où il vit.