Adel Abdessemed quitte lAlgérie en 1994, au moment où la violence islamiste gagne le pays. Il sinstalle alors en France, avant deffectuer une résidence dun an au PS1 Institute de New York.
Utilisant la vidéo, la photographie, la sculpture et le dessin, A. Abdessemed met à l’épreuve les limites sociales, politiques et culturelles tant dans les sociétés musulmanes qu’occidentales. Les vidéos de l’artiste mettent effectivement en exergue des tensions physiques et mentales générées par « la schizophrénie imposée par la globalisation ». Cette pression dont il veut s’émanciper s’emblématise par l’image d’un citron écrasé par son talon dans Pressoir fais-le, bande réalisée en 2002. Critique du monothéisme et du totalitarisme, « Mohammedkarlpolpot » (1999) mot hybride, écrit sur une feuille de papier déchirée, qui condense en un seul nom Mahomet, Karl Marx et Pol Pot dénonce les formes d’oppression liées à ces figures tutélaires. Braver les interdits, retrouver un corps et une sexualité comprise « comme redécouverte de la vie créatrice… » sont autant d’objectifs qui fondent la pratique de l’artiste. Il confie d’ailleurs vouloir « entrer dans des zones "sensibles", des zones situées entre le "légal" et l’"illégal" ».
La nudité du corps est mise en jeu à plusieurs reprises dans les œuvres d’A. Abdessemed : dans « Real Time » (présentée à la Biennale de Venise en 2003), il filme froidement une performance où neuf couples font l’amour dans l’espace d’une galerie. Avec ce même souci d’objectivité, les vidéos « Joueur de flûte » (1996) et « Passé simple » (1997) confondent les sphères privée et publique et marquent un incessant aller-retour entre passé et présent, entre tradition et contemporanéité. Elles montrent des hommes et des femmes nus, renvoyant à un univers dionysiaque et donc à une iconographie inspirée de l’Antiquité méditerranéenne. Cette dimension charnelle demeure néanmoins toujours pudique, induisant une charge poétique et émotionnelle. A. Abdessemed souhaite « renverser les perspectives, sortir du banal et ouvrir des portes vers une autre réalité : celle du plaisir et du désir ». Ne serait-ce finalement pas l’omniprésence d’une tension inhérente à ces travaux qui parvient à toucher le spectateur ?
Empreintes d’une forte sensibilité et nourries par la littérature et la philosophie occidentales, les œuvres d’A. Abdessemed conduisent simplement à une réflexion sur la nature humaine. Bras et jambes tendus, d’une longueur de dix-sept mètres, le gigantesque squelette humain en lévitation de « Habibi » (2004) participe de ce questionnement. Cette sculpture implique directement le visiteur en jouant sur une intimité décalée : il ne s’agit pas là d’une simple galerie de paléontologie mais bel et bien de l’espace d’exposition qui prend ainsi une tout autre dimension corporelle. Face à ce corps désincarné, c’est le visiteur lui-même qui devient l’épiderme et l’enveloppe, tout comme il vient animer l’espace d’exposition. Suspendu à la fois dans l’espace et le temps, « Habibi » — littéralement, « mon chéri » — cristallise l’aspect éphémère de la vie et représente la mort sous la forme d’une subtile et grandiose vanité.
Cette exposition, intitulée « Le Citron et le Lait », propose des œuvres d’une extrême générosité à l’égard du spectateur, l’incitant à repenser son rapport au monde via un retour à des plaisirs simples, à l’instar de sa vidéo « Happiness in Mitte » (2003) où l’artiste nourrit sept chats errants, chacun des félins lapant le lait avec crainte et/ou plaisir. Malgré l’apparente banalité du geste, A. Abdessemed parvient à nous éloigner de toute atonie visuelle et contemplative.
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